Comme beaucoup d’entre vous, je me souviens du lycée. Un temps pas si lointain (non mais oh, je reste jeune !) où la sonnerie était synonyme de libération et d’activités plus plaisantes comme trainer avec ses potes ou aller au cinéma. Mais vous savez ce qu’il me manquait en ce temps là ? La possibilité de laisser ces activités quelque peu mondaines pour m’adonner à la chasse aux entités étranges peuplant le subsconscient de mes semblables ! Quels chanceux ces lycéens de Shujin à Tokyo. Et peut-être que vous aussi vous serez chanceux, si vous décidez d’incarner l’un d’entre eux dans le dernier jeu de la franchise tentaculaire Shin Megami Tensei, à savoir Persona 5.
Persona 5 n’est pas ce qu’on pourrait appeler un jeu facile d’accès. Même si, contrairement à ce que son titre laisse penser, il n’est nul besoin d’avoir joué aux 4 précédents volets de la série pour l’apprécier, le jeu de Katsura Hashino est exigeant en terme de temps pour commencer. Comme beaucoup de RPG japonais me direz-vous. Vous avez raison. Et ça tombe bien parce que c’est exactement ce qu’est Persona 5. Une lettre d’amour aux JRPG sous forme d’un JRPG quasi ultime. Non, je ne mâche pas mes mots. Mais avant d’aller plus loin, une petite confession pour être tout à fait honnête avec vous, chers lecteurs : je n’ai pas encore fini le jeu. C’est très rare que j’écrive sur un jeu sans l’avoir terminé. Cela dit, j’en suis actuellement à un peu plus de 50h et ai donc bien avancé dans l’histoire ainsi qu’eu le temps de me familiariser avec les mécaniques du jeu.
Un jeu lycée
Après avoir introduit quelques mécaniques de base du jeu dans une introduction (jouable, donc) haute en couleur, Persona 5 installe son style et révèle son format : le jeu suivra un personnage – votre avatar, que vous aurez le loisir de nommer comme bon vous semble – alors qu’il raconte par flashback son histoire après avoir été arrêté. Archétype de l’intello timide à lunettes des animes japonais, notre héros se transforme en gentleman cambrioleur avec masque noir et gants inclus après les cours. Mais bien vite, on se rend compte que l’on fait fausse route. Non seulement le héros n’est pas si archétypal que ça mais surtout ses cambriolages sont… Disons particuliers. Loin de se contenter de voler des objets précieux, il entre en fait par effraction, aidé de son équipe, dans le subconscient de personnes mal intentionnées pour « voler leur trésor » et ainsi les changer en profondeur afin qu’ils admettent leurs fautes et qu’ils changent de comportement. Parce que, comme tout bon JRPG, l’histoire de Persona 5 est pleine de rebondissements, on va éviter de trop en raconter dans ce test.
Votre avatar étant un lycéen, il faudra vous organiser pour suivre les cours, passer les examens, améliorer vos relations avec les autres personnages, travailler sur vos statistiques, créer et/ou acheter les objets et équipements dont vous aurez besoin et, évidemment, avancer dans « l’autre monde » – appelé le metaverse dans le jeu. La gestion du temps est donc primordiale. D’autant que les missions ont elles-mêmes des deadlines, ce qui veut dire que vous devrez les finir impérativement avant un jour donné de votre calendrier et que vous n’aurez par conséquent qu’un nombre de « visites » possibles limité. Si une deadline est dépassée, votre personnage subira les conséquences (comme se faire virer du lycée) et ce sera un game over.
C’est palais
Mais revenons sur ce metaverse. Qu’est-ce que c’est ? C’est en quelque sorte une « face cachée » de notre monde abritant les subconscients de tous les habitants. Certaines personnes, lorsqu’elles ont de gros problèmes émotionnels (pas forcément parce que ce sont des sadiques inhumains qui commettent des atrocités mais souvent quand même), donnent même naissance à ce qui est appelé un « palais », soit une manifestation dans ce monde alternatif de leurs désirs et pensées, une distorsion cognitive sous forme d’un bâtiment plus ou moins étrange (un château, une banque, un musée, un vaisseau spatial ou une pyramide par exemple) et remplie de simili-démons appelés « ombres ». Vous l’aurez compris, ces palais sont les donjons du jeu. Pour les distorsions des humains plus « classiques », tout se retrouve dans Mementos, une zone protéiforme (et générée de façon procédurale) également peuplée d’ombres et de quelques unes plus puissantes : justement vos cibles. Elle vous servira de zone de grinding dans laquelle vous vous déplacerez à l’aide de votre chat. Hein ? Oui oui, de votre chat. Parce qu’il se transforme en van Citroën. Parce que ce jeu est japonais, et donc fou.
« Donc Persona 5 est un JRPG classique avec une composante tranche de vie ? » C’est pas mal pour commencer à expliquer le jeu effectivement. Persona 5 est également classique dans le sens où il revient au système de combat au tour par tour. Je ne vous cache pas que c’est un vrai petit bonheur pour moi. Pourtant, le jeu sait renouveler ce système notamment grâce à l’aide de deux idées : le 1 more et la négociation. Comme souvent dans ce genre, les ennemis ont des résistances et des faiblesses par rapport à certains éléments (électricité, feu, glace, etc…) et frapper un ennemi sur son point faible vous donne un coup supplémentaire : le 1 more. La négociation, elle, permet de rallier à votre cause une ombre après un dialogue où il vous faudra cerner sa personnalité et choisir les bonnes réponses. Vous pouvez en collectionner, à la manière des Pokémon, et cela fait même l’objet d’une quête secondaire.
L’exigence a du bon
Certains d’entre vous se disent probablement que le jeu est forcément trop facile. Après tout, si on connait le point faible d’un ennemi, c’est un peu comme si on le frappait deux fois à chaque tour. Oui… Ben non en fait. Il faut plutôt le voir dans l’autre sens. Si vous ne connaissez pas le point faible de l’ennemi, le combat va être très très TRES difficile. Je peux d’ailleurs vous dire que les premiers ennemis sans faiblesse qui apparaissent (en dehors des boss) vous laissent un goût amer. Persona 5 est un jeu qui punit chacune de vos erreurs. Si vous ne vous protégez pas avant une attaque chargée d’un boss par exemple, il se peut que votre équipe entière soit rasée en un seul coup. Si vous vous acharnez sur le mauvais ennemi, cela peut également vous coûter très cher. Il faut faire attention à toutes vos décisions. Sachez toutefois que vous pouvez à tout moment changer la difficulté du jeu si vous êtes en trop mauvaise posture.
Dans l’autre partie du jeu, la partie « tranche de vie » qui ressemble fréquemment à un visual novel, cette exigence est également présente. Comme on l’a déjà dit, votre temps est compté. L’optimisation de votre vie sociale est donc à prendre en compte, tout comme les créneaux où aller faire un job étudiant ou bien étudier. Et on ne parle pas que du temps d’ailleurs. La même action, par exemple étudier, n’aura pas tout à fait les mêmes conséquences en fonction de l’endroit choisi (bibliothèque, restaurant, etc…) ou de la météo ! De même, vos réponses lors des dialogues avec les autres personnages vous apporteront plus ou moins de points « d’affection » avec lui. Et si vous ne les accumulez pas, il faudra plus de visites auprès de ce personnage avant que votre relation ne passe au niveau suivant. Persona 5 est japonais jusque dans son ADN : l’erreur est punie et l’optimisation récompensée.
Japonais et universel
Japonais, Persona 5 l’est particulièrement dans la forme choisie (une DA proche de l’animation japonaise, jusqu’à certaines scènes cinématiques entièrement réalisées en animation), dans le ton, dans ses personnages proches de ce qu’on peut trouver dans les shonen, dans la musique et dans l’approche over-the-top. Pour autant, ses histoires de pression sociale, de harcèlement moral et physique, d’abus d’autorité et de valeurs plus positives comme l’amitié, l’entraide et l’amour sont éminemment universelles. Mais Persona 5 est avant tout un jeu, évidemment. Ce qui veut dire que la forme est très importante, tout comme l’ambiance. Cela signifie que si vous êtes allergiques à la culture japonaise (la face visible comme les animes bien entendu mais aussi la philosophie générale du peuple japonais, sa façon d’appréhender le monde), vous risquez de passer à côté de ce petit bijou. Mais ce serait difficile de vous en vouloir tant Persona 5 transpire le Japon. Après tout, c’est un JRPG.
Des JRPG, Persona 5 embarque malheureusement aussi quelques-uns de ses rares défauts. Ainsi, la musique a beau être plutôt sympathique de base, sa répétition à outrance fait qu’elle finit presque par énerver, surtout les éventuelles personnes qui vous regarderaient jouer. Le problème de répétition ne s’arrête pas là puisque l’enchaînement des combats provoque aussi un enchaînement de cinématiques de victoire (enfin normalement) qui, si elles sont entrainantes et joliment travaillées, ont l’inconvénient de ne pas être courtes. Toutefois, si vous aimez les JRPG comme les Final Fantasy par exemple, c’est quelque chose que vous connaissez bien et qui ne doit pas trop vous déranger. Enfin, les dialogues ont tendance à être assez longs. Ce n’est pas forcément un mal mais cela pourrait rebuter certains joueurs qui ne voudraient que taper du monstre. En gros, si c’est ce que vous cherchez, changez de jeu.
(R)effort
Long est-il forcément synonyme d’ennuyeux et de dispensable ? En tout cas, pas ici. Si les dialogues sont longs, ils sont très bien écrits dans le sens où ils sont tous crédibles et apportent (presque) toujours de nouvelles informations. Ca ne veut pas dire qu’il n’y a jamais de clichés mais plutôt qu’ils sont utilisés pour amener de l’humour ou du décalage, en bref du corps et du rythme à ces échanges. D’autant que des thèmes aussi durs que le suicide, l’abandon ou la perte d’un être cher sont traités. Il est donc bienvenu que certaines scènes viennent alléger l’ambiance. Le tour de force tient sans doute au fait qu’aucun personnage n’est oublié. A chaque fois que vous pensez avoir cerné un personnage en vous disant qu’il est cliché, une révélation sur son passé vient le rendre intéressant et plus profond. Même le chat du groupe est un personnage travaillé, c’est dire !
Le travail des personnages est d’ailleurs également présent chez les méchants. Bien sûr, ils sont plus des métaphores et des archétypes que des personnages fouillés mais ils sont suffisament « profonds » pour que l’histoire soit intéressante, que leur lien avec les héros apporte quelque chose et surtout que chaque palais ait sa propre logique. Contrairement à Mementos, les palais ne sont pas générés aléatoirement et leur level design est même assez impressionnant la plupart du temps. Ces fameux palais se font toujours en au moins deux étapes : le repérage et le combat de boss. La première phase vous demande d’explorer le palais de fond en comble pour trouver l’emplacement du trésor et sécuriser une route d’infiltration. Pendant ce temps, vous pouvez également remplir votre Pokéd… Acquérir de nouvelles personas à grands coups de dialogues souvent farfelus mais ayant chacun leur logique interne (là encore, c’est bien travaillé). Il est conseillé de la jouer discret (après tout, on parle de voleurs) car une ombre qui vous surprend gagne un avantage tactique et inversement. Evidemment, n’oubliez pas de voler les coffres en cours de route, ce serait dommage. Une fois votre route trouvée pour le braquage, votre équipe doit ressortir du donjon, envoyer une sorte de carte postale publique à l’ennemi du mois (rappelez-vous, le jeu tourne autour de son calendrier) et enfin retourner dans le donjon pour tataner le big bad.
Puisqu’on parle du soin apporté par les équipes ayant travaillé sur Persona 5, profitons en pour souligner le travail remarquable effectué sur la direction artistique acidulée et pop à souhait (soulignée par une très belle OST acid-jazz) mais aussi celui dont ont bénéficié les menus. Trop souvent oubliés ou bâclés, ils sont ici magnifiques, animés et donnent envie de s’y perdre comme dans un joli livre d’art. La petite icône de chargement, sous forme de la tête de votre avatar, vous enjoint d’ailleurs à profiter de tous ces efforts avec ce petit motto : take your time. Les acteurs japonais, eux aussi, sont excellents et nous plongent sans fausse note dans ce quotidien à la fois proche du nôtre et si éloigné. On notera d’ailleurs que le DLC des voix japonaises (très volumineux) est disponible gratuitement et on vous conseille fortement de le prendre. De toute façon, tous les dialogues sont retranscrits à l’écrit en anglais donc vous n’aurez aucun mal à suivre (sauf, évidemment, si vous ne parlez pas anglais. Auquel cas… Désolé mais vous ne pourrez pas jouer à Persona 5).
Courant (en) continu
N’ayant pas encore terminé le jeu, je ne peux malheureusement pas vraiment me prononcer sur la trame générale, ce qui veut dire que ma note finale pourrait évoluer d’un demi-point vers le haut ou le bas en fonction de la suite (et surtout de la fin). Cependant, il faut bien préciser que Persona 5 cache derrière son apparente propension à la répétition une maitrise toute en finesse de la variation. C’est-à-dire que l’histoire se développe petit à petit et que même si chaque jour de la vie étudiante se ressemble un peu (c’est voulu : Persona 5 cherche clairement à faire ressentir le côté lancinant du rituel métro-boulot-dodo de nos sociétés modernes), des détails viennent petit à petit pimenter tout le jeu et tout le lore. On notera d’ailleurs que ce système du pas à pas est introduit dès le début puisque les 6 ou 7 premières heures sont une sorte de tutoriel durant lequel tous les aspects du jeu (et il y en a !) sont présentés. Certes, ça peut paraitre un peu long et on espère que le jeu nous lâche la main rapidement mais, heureusement, cette partie couloir sans véritable choix est également utilisée pour poser l’univers, ce qui rend le tout agréable à suivre.
Par la suite, ces « couloirs » sont assez rares. Il y en a bien deux d’affilée aux alentours des 50h de jeu (des vacances scolaires et ce qu’on appellera la crise d’états d’âme d’un des personnages principaux pour ne pas trop en dire) qui s’avèrent assez frustrants mais leur longueur est toute relative (une trentaine de minutes chacun) et ils participent à la caractérisation de tous. D’ailleurs petit bémol révélé par la partie vacances : très écrite, elle ne prend pas en compte l’évolution de la relation qu’on peut avoir eue avec deux des personnages secondaires. Rien de bien méchant mais vu la qualité du reste de Persona 5, le contraste est surprenant. On lui pardonnera aisément quand on pense à l’envie irrépressible de retourner dans ce monde qui contient tant de miroirs tendus au nôtre (jusqu’à un politicien qui a un discours étrangement proche d’un Français dont on taira ici le nom…).
TL;DR
Persona 5 vient confirmer le retour en grâce du jeu japonais en ce début d’année (je vous regarde NieR : Automata et Zelda : Breath of the Wild) de la plus belle des manières. Hommage réussi au JRPG classique, l’effort vidéoludique apporte surtout un nouveau souffle à ce genre. Dans la lignée de ses prédécesseurs, Persona 5 retourne les codes pour offrir au joueur la plus proche expérience de la vie d’un adolescent japonais de nos jours, tout en la rendant épique par son côté métaphorique et farfelu. Le metaverse, loin d’être un vulgaire prétexte pour expliquer la présence de démons dans un lycée, donne une profondeur au titre d’Atlus tout en offrant des moments de jeu dont le joueur se souviendra à coup sûr dans 10 ans. Toutefois, n’étant pas forcément accessible de par sa difficulté et surtout sa personnalité très marquée, on préviendra sans tourner autour du pot les allergiques à la culture japonaise populaire qu’ils n’accrocheront pas à ce petit chef d’oeuvre. Eh oui, Persona 5 est en quelque sorte sectaire. Mais ce n’est pas grave parce que ses fans seront grandement récompensés pendant les 100 heures et quelques de jeu pour le premier run, voire par le New Game +.
On aime :
- le gameplay aux petits oignons
- l’exigence du jeu récompensée
- la thématique des voleurs bien pensée et exploitée
- le level design des palais
- la direction artistique
- la durée de vie
- l’écriture des personnages
- tout
On aime moins :
- une certaine répétitivité musicale (défaut des JRPG)
- l’évolution des relations pas forcément prise en compte dans certains passages obligés
Craquez vos PO si :
- vous êtes en manque d’un bon JRPG
- vous aimez le tour par tour
- vous avez pas mal de temps devant vous
- vous avez un coeur et un cerveau
Quittez la partie si :
- vous êtes hermétique à la culture japonaise
- vous ne supportez pas de passer plus de 10h sur un jeu
Edit du 10/06/2017 : Maintenant que j’ai terminé le jeu, et si je devais réécrire ce test, je lui donnerais la note de 9. En effet, la dernière partie du jeu, en plus d’appuyer les thèmes déjà évoqués depuis le départ, s’attaque à une critique sociétale intéressante que l’on entend finalement assez peu et qui a énormément de sens. Ajoutez à cela que les derniers palais sont de pures merveilles en terme de narration et de stress (parce que la difficulté augmente beaucoup) et je ne peux qu’enjoindre les personnes hésitant encore à se jeter à corps perdu dans l’aventure. Juste un mot sur les deux fins possibles (mais sans spoiler) : on voit bien que l’une est privilégiée par rapport à l’autre puisqu’elle prend environ 2h de plus là où la fin « alternative » se conclue en moins de 5 minutes. A première vue, on pourrait croire que c’est un défaut mais je ne le pense pas. En effet, la fin « rapide et peu intéressante » correspond à un choix qui, par essence, revient à cracher au visage du jeu en lui disant « je me fiche de ce que tu essaies de me raconter depuis le début » et qui ne correspond en rien à ce que pourrait choisir le personnage. C’est donc une façon de punir le joueur qui ne s’est pas investi dans le jeu (à mon sens).
Persona...l Jesus
Tel un messie, Persona 5 vient avec grand fracas redonner toutes ses lettres de noblesse au RPG japonais au tour par tour. Flattant notre nostalgie tout en étant indéniablement et incroyablement actuel, le jeu nous transforme en drogués dépendant à son univers foisonnant et farfelu. A moins que vous ne soyez hermétique à la culture japonaise, il serait dommage de ne pas au moins laisser sa chance à ce petit bijou déjà culte.