[Test] Magic Fold

À ma gauche, Bruno Cathala, créateur français prolifique dont les jeux ont pu obtenir les titres les plus prestigieux qui soient. À ma droite, Yohan Go, jeune créateur sud-coréen à qui l’on doit Fold-It, un petit jeu basé sur une mécanique de pli de tissus très originale. Lorsqu’un éditeur propose au premier de revisiter la mécanique du second, on est forcément curieux du résultat et on espère qu’il vaudra le détour. Ce résultat, il s’appelle Magic Fold et il a en plus la lourde tâche d’inaugurer en France le catalogue des éditions Offline, ce 12 juin 2020.

Un jeu de plis, mais pas comme à la belote

Ne vous laissez pas tromper par la taille assez imposante de sa boîte : Magic Fold est un jeu familial rapide à mettre en place, facile à ranger et offrant des parties assez rapides pour deux à quatre joueurs.

Au centre de la table, on dispose un plateau tout en longueur représentant une ville orientale vue du ciel. Les joueurs vont participer à une course de tapis volant et suivre un chemin matérialisé par des nuages. Chaque joueur a face à lui un petit bout de tissu carré présentant une grille dont le recto et le verso sont identiques. Cette grille présente des motifs sur fonds colorés. Les motifs sont au nombre de quatre (des palais, des lampes, des chameaux et des lunes) ainsi que les couleurs (bleu, violet, rouge ou jaune). Le tout s’étale assez logiquement dans seize cases. Pour avancer sur la piste, les joueurs vont devoirs plier leur tissu afin de n’avoir plus que quelques motifs visibles à la fin de leur pli, tout en suivant les lignes de la grille.

Vous me demanderez alors à juste titre « Comment je sais quels sont les motifs à conserver ? ». Au début de chaque tour de jeu, on tire au hasard quatre cartes Défi. Chaque carte indiquera des couleurs, des motifs, ou une combinaison des deux. Voici quelques exemples :

• Obtenir uniquement deux cases rouge et une case violette
• Obtenir uniquement un palais sur fond jaune et une lune sur fond jaune
• Obtenir uniquement un palais, une lune et un chameau, peu importe leurs couleurs

Chaque carte indique aussi le nombre de cases dont vous avancerez si vous parvenez à réaliser le défi. Notez aussi que chaque carte est placée face à des jetons numérotés de 1 à 4. Ces jetons indiquent l’ordre dans lequel les joueurs vont avancer (cela a notamment une importance en fin de course pour être le premier à franchir la ligne d’arrivée), mais ils ajoutent aussi quelques cases supplémentaires au déplacement du joueur ayant réalisé le défi.

À vous de bien choisir le combo défi / jeton initiative à réaliser. Privilégier un pliage facile quitte à ne pas trop avancer ? Foncer tête baissée ? Tenter d’arriver sur une case précise pour éviter un malus (on y revient) ou pour emprunter l’un des quatre raccourcis disponibles ?

Premiers nœuds au cerveau

La première partie de Magic Fold peut s’avérer un peu intimidante. Votre cerveau risque à tout moment de crier « Stooop ! je ne sais pas faire ça ! Je n’ai jamais joué comme ça ! ». Et effectivement, les premiers pliages réussis donnent l’impression d’avoir bénéficié d’un petit coup de chance, ou d’être le résultat d’une recherche laborieuse.

Ce sentiment de panique, il reviendra régulièrement lors de la partie. Lorsqu’un joueur a terminé son pliage, il déclenche un sablier laissant 30 secondes aux autres joueurs pour finir à leur tour. Aussi, lorsqu’un joueur réalise un défi, il empêche tous les autres joueurs de réaliser ce même défi. C’est généralement là que quelqu’un hurle de rage en se lançant de 0 dans un nouveau pliage en 30 secondes maximum. Si votre table réunit des invétérés de Magic Fold et des néophytes, on vous conseillera d’y aller tout doux sur le sablier lors des premiers tours : doublez ce temps pour quelques tours, ou retirez-le carrément ! Laissez le temps à tout le monde d’appréhender ce drôle de bout de tissus et de réussir un ou deux pliages. Il ne faudrait pas qu’ils s’enferment définitivement dans un état d’esprit « ce jeu n’est pas pour moi » et subissent la fin de la partie.

Après quelques tours, les choses vont devenir naturelles pour tout le monde. Il y a une vraie courbe de progression dans Magic Fold. D’ailleurs, le jeu intègre deux paquets de cartes défis. Le premier est parfait pour découvrir le jeu, le deuxième est à réserver à ceux déjà à l’aise avec le premier deck. Cela permet véritablement de prolonger le plaisir et de surfer sur la courbe de progression. On n’aurait cependant pas dit non à un tapis alternatif ou à quelques cartes supplémentaires dans chaque paquet pour retarder le moment où l’on finit par savoir par cœur comment réaliser facilement tel ou tel pliage.

Dans le même genre de bonne idée, on apprécie que le temps de jeu puisse être modulé : une course classique vous occupera quinze à vingt minutes, un mode championnat vous fera enchaîner plusieurs courses de suite, mais il est aussi possible de faire une course rapide grâce à un second point de départ astucieusement dissimulé sur le parcours.

Magic Fold : un jeu qui ne manque pas de génie

Un problème inhérent aux jeux d’observation et de rapidité, c’est l’avantage naturel que certains ont sur les autres : avec un même niveau de connaissance, c’est souvent le joueur ayant les meilleurs réflexes qui finira par l’emporter. Pour éviter de tomber dans cet écueil, Magic Fold a mis en place deux mécaniques.

La première est celle des génies. Chaque joueur débute la course avec un génie et il sera possible d’en obtenir régulièrement pour en cumuler jusqu’à trois. À tout moment, il est possible de les utiliser comme des Joker pour corriger une ou plusieurs erreurs sur votre tapis plié. Que ça soit pour venir à bout d’un défi pour lequel vous n’avez pas trouvé de solution, ou pour expédier très rapidement n’importe quel pliage (et mettre un bon coup de pression aux autres joueurs grâce au sablier évoqué un peu plus tôt), ils permettent de se sortir de pas mal de situation. Pour les utiliser, il suffit que votre tissu plié comporte au moins une case répondant au défi choisi.

La seconde est celle des cobras. Ces derniers sont répartis tout au long du parcours sur certaines cases. Le premier joueur s’arrêtant sur l’une d’elle écopera d’une contrainte : reculer de trois cases, se défausser d’un génie, l’interdiction d’utiliser la main droite ou la main gauche pour le prochain pliage, etc.

Lorsque l’on joue à trois ou à quatre, les génies et les cobras apportent ce qu’il faut de chaos pour gommer les disparités entre joueurs : la pression est là, le sprint final provoque un petit pic d’adrénaline agréable, les génies rendent le jeu convivial et les cobras apportent une bonne dose de fun.

À deux joueurs, le résultat est plus mitigé. Chez nous, en une vingtaine de parties à deux, nous constatons assez tristement que c’est le même joueur qui a remporté l’intégralité des courses. Le niveau des deux joueurs a grandement progressé tout du long, les courses étaient parfois très serrées, on a vu de très belles remontadas, mais le constat reste un peu décevant même si l’on imagine très bien que deux autres joueurs pourraient arriver à un résultat différent du nôtre. À deux, le risque de voir quelqu’un s’emparer de notre carte défi est bien moins présent qu’à quatre. Après quelques parties de découverte, cette sérénité réduit l’usage des génies et aide à optimiser chaque coup : presque tous les raccourcis seront empruntés et on évitera presque toujours les cobras. On imagine que ce mode deux joueurs aurait pu bénéficier de quelques règles supplémentaires pour introduire un peu plus de chaos, mais la simplicité du jeu en aurait probablement pris un coup. L’introduction assez artificielle d’un troisième pilote dans les parties à deux est probablement une réponse à ce problème, mais elle ne semble pas gommer tous les problèmes. C’est un peu dommage, même si cela ne nous a pas empêchés de passer un bon moment.