Ah, l’Autriche ! Schubert, Mozart, Haneke ou encore Schwarzenegger. Les schnitzels et les knödels ! Mais pour profiter de la culture et de la gastronomie autrichienne, c’est comme partout : il vaut mieux avoir un bon point de chute pour se reposer. Quoi de mieux qu’un Grand Hôtel de luxe pour cela ? Ca tombe bien car le jeu de société du jour, Grand Austria Hotel de Simone Luciani et Virginio Gigli, vous propose de prendre la tête d’un de ces hôtels chics et de parfaire sa renommée en servant au mieux vos clients et en vous attirant les faveurs de l’Empereur. C’est le moment de montrer vos capacités de gestionnaire !
Actions à foison
Chaque joueur·se débute la partie avec 6 cartes Personnel qui lui sont propres et éventuellement une disposition de chambres d’hôtels différente (si vous jouez avec la face nuit des plateaux individuels, tous les hôtels sont identiques, sinon ils sont chacun disposés différemment). En dehors de cela, tout le monde est logé à la même enseigne. Au début de chacune des 7 manches, celui ou celle qui dispose de la tuile « premier joueur » – celle-ci tourne à chaque manche – jette un nombre de dés dépendant du nombre de joueur·se·s. A deux, on jette par exemple 10 dés. Ces dés sont ensuite triés par valeur et rangés sur la piste des actions – évidemment présente sur le double plateau principal (constitué de la piste des actions, donc, et du plateau proposant la piste de l’empereur, celle des scores, les objectifs, etc). Ce sont eux qui détermineront les actions possibles pour la durée de toute la manche (tout le monde a donc accès a priori aux mêmes actions) et la « puissance » desdites actions. En effet, plus il y a de dés d’une même valeur, plus l’action aura d’effet. A chaque fois qu’un·e joueur·se effectue une action, iel retire l’un des dés du pool utilisé (par exemple un dé de valeur 5 s’iel a joué l’action correspondante). Ainsi, l’action est affaiblie pour la suite de la manche, voire supprimée si le dernier dé est retiré. Voici une liste simplifiée (je n’ai pas mis toutes les restrictions) des actions disponibles dans Grand Austria Hotel :
- Récupérer des tartes ou des strudels (une ressource par dé)
- Récupérer du café ou du vin (une ressource par dé)
- Préparer une chambre (une chambre par dé dont certaines payantes)
- Avancer sur la piste de l’Empereur et/ou celle des richesses (une case par dé)
- Recruter un employé parmi les cartes Personnel de sa main (remise d’1 couronne par dé)
- Copier une autre action disponible (les dés 6 remplacent ceux de l’action choisie)
Dans chaque manche, on peut effectuer deux tours mais ces tours ne sont pas forcément consécutifs puisqu’on a une organisation « en V », équilibrant quelque peu les chances. Ainsi, dans une partie à 3, la première personne à jouer effectuera les tours 1 et 6, la seconde les tours 2 et 5 et la troisième les tours 3 et 4. Il conviendra donc de choisir ses actions non seulement en fonction de nos propres intérêts mais également leur ordre selon ce qui pourrait gêner les adversaires (ou tout simplement en fonction des actions que les adversaires pourraient retirer). Chaque tour se déroule de la même façon : on choisit éventuellement un client à ajouter à l’une de nos tables libres, on joue une action, puis on peut payer une couronne pour passer trois ressources de nos cuisines à l’une des tables afin de servir nos chers clients et de les envoyer dormir. Mais attention, chaque client a ses particularités. Chacun a des exigences (des ressources telles que tartes, café, etc à lui servir pour le satisfaire), une valeur en points de victoire, un bonus (un pouvoir tel que déclencher un recrutement par exemple) et une couleur correspondant aux couleurs disponibles dans les chambres de l’hôtel. Impossible ainsi d’attribuer une chambre jaune à un client rouge. De plus, vous n’avez que trois tables, un client ne peut être installé à une table déjà occupée et chaque client non servi en fin de partie vous fait perdre des points. Le choix des clients est donc crucial !
Complexité hôtelière
« Bon ok, il faut que je gère correctement mes clients, ça devrait aller. » Oui, c’est la base. « La base ? Il y a autre chose ? » Oh oui, jeune impudent·e ! Vous vous souvenez des cartes Personnel ? Chaque employé apporte un bonus spécifique. Certains vous octroient des points de victoire lors de certaines actions, d’autres des ressources supplémentaires, d’autres encore imitent l’action d’une valeur de dé lorsque vous effectuez l’action d’une autre valeur (par exemple, si vous choisissez de préparer des chambres, un employé peut déclencher une phase de recrutement). Autant dire que les employés que vous recruterez peuvent radicalement changer votre façon de jouer. Mais ce n’est pas tout ! Les chambres elles aussi constituent une partie stratégique. S’il faut évidemment que vous ayez les bonnes chambres pour accueillir vos clients, on peut aussi prendre la chose à l’envers puisque celles-ci sont organisées en groupes de chambres d’une même couleur et que chaque groupe clôturé – c’est-à-dire où toutes les chambres sont occupées – apporte un bonus (points de victoire, richesse ou avancée sur la piste de l’empereur) en fonction de sa couleur et du nombre de chambres qui le composent.
« Ah oui tiens, ça fait plusieurs fois que tu parles de la piste de l’empereur Gizmo. C’est quoi ? » Cette piste représente en quelque sorte l’estime que l’empereur vous porte. Trois fois par partie (à la fin des tours 3, 5 et 7), le souverain rendra visite à chaque hôtel et attribuera, en fonction de son estime, des points de victoire, des bonus ou des malus. Evidemment, plus la partie avancera, plus l’empereur deviendra exigeant et plus les bonus seront difficiles à atteindre. A vous de voir si vous estimez que le jeu de la flatterie en vaut la chandelle ou non (généralement, c’est le cas). Enfin, chaque partie est en partie caractérisée par trois cartes d’objectifs (atteindre une certaine valeur sur la piste de l’empereur, remplir x chambres de telle couleur, etc) piochées au hasard qui rapportent de moins en moins de points à mesure que tout le monde les accomplit. Le·a premier·e récupérera 15 points, en laissant 10 pour le·a second·e et seulement 5 pour le·a troisième. Là encore, c’est donc à chacun·e de déterminer si la course à l’objectif est intéressante et si oui, sur quel objectif se focaliser en premier. Grand Austria Hotel est donc un jeu qui propose pléthores de façons de gagner des points, chaque joueur·se ne pouvant évidemment pas gagner tous les points partout. C’est donc un jeu de choix, de stratégie et, évidemment, de réflexion.
Strudelicieux
Appelons un chat un chat, Grand Austria Hotel est un jeu pour celles et ceux qui aiment se prendre la tête, calculer et optimiser… Ben, tout en fait. Ça tombe bien, c’est mon cas. Evidemment, il n’est pas à conseiller à des gens qui chercheraient un party game. Toutefois, si vous aimez les jeux de gestion et que vous cherchez un copain pour votre boîte de jeu du très bon Agricola (avec qui Grand Austria Hotel partage d’ailleurs son illustrateur et son éditeur français), le jeu du jour a l’avantage d’être très fluide et de se jouer bien plus facilement qu’il ne s’explique (je vous ai passé pas mal de détails qui n’auraient pas eu de sens sans avoir le jeu sous les yeux) sans toutefois sacrifier la complexité. Les cartes d’objectifs et les tuiles d’empereur (qui déterminent les bonus et malus) apportent une variété intéressante au jeu qui améliore grandement sa rejouabilité tant celles-ci impactent le déroulement et donc la stratégie de chaque partie. Les actions étant régies par un pool (de dés en l’occurrence, ce qui apporte une once de hasard maîtrisé), le choix de vos adversaires sera également très important puisque des caractères différents amèneront des styles de jeux différents et donc, vous l’aurez compris, des parties différentes.
Annoncé pour 2 à 4 joueur·se·s, nous vous recommandons de jouer à 2 où Grand Austria Hotel est, à notre sens, optimal. Les parties à 3 joueur·se·s sont également agréables et intéressantes mais l’attente entre les tours commence à se faire sentir, surtout si l’Analysis Paralysis est un problème récurrent à votre table. A 4, on sort carrément du jeu lorsqu’on doit attendre entre le 1er et le 8e tour de la manche. En effet, il y a tellement de détails à combiner (ressources possédées ou à créer, couleurs de chambres, caractéristiques et coût éventuel des clients, envoi des clients dans leurs chambres, décomptes de points, etc) que même si l’on réfléchit pendant le tour des autres, notre propre tour prend un temps non négligeable. De plus, une particularité des règles que j’ai tue ici – concernant la possibilité de passer son tour pour relancer les dés – présente de moins en moins d’attrait à mesure que le nombre de joueur·se·s augmente tant les risques croissent.
Côté matériel, il n’y a rien à redire. Les plateaux de Grand Austria Hotel sont beaux et de bonne facture, les cartes également. Il vous faudra par contre un peu de temps pour comprendre les symboles présents sur toutes les cartes employés sans avoir besoin de recourir à la règle mais c’est normal : il y a beaucoup de possibilités. Certains seront peut-être déçus que les ressources soient représentées par de simples cubes de couleur mais une certaine contrainte de place sur les plateaux individuels (la cuisine) rend le choix au contraire parfaitement adapté. Puisqu’on parle de place, prévoyez tout de même une table suffisamment grande pour installer Grand Austria Hotel puisqu’il est composé d’un plateau central, d’autant de plateaux individuels que nécessaires et de tas de cartes et de ressources sur les côtés. Ce n’est donc pas le jeu à sortir sur une petite table de 90x90cm. La boîte quant à elle, fournie avec de nombreux sachets de rangement (encore un bon point) permet de ranger convenablement les 6 plateaux, la centaine de cartes, autant de tuiles, de cubes de ressources et le livret de règles – ça peut toujours servir – sans laisser trop d’espace inutilisé.
TL;DR
Complexe sans être compliqué, Grand Austria Hotel est un très bon jeu de gestion qui s’offre en plus le luxe de bien retranscrire son thème – chose rare dans les eurogames. Le système de déterminer les actions possibles à chaque manche en fonction de dés apporte une dose de hasard appréciable car minimisée par le fait que ce pool d’actions soit partagé par tout le monde autour de la table. Apportant nombre de détails à agencer au mieux pour satisfaire vos clients, l’empereur et ainsi être à la tête du meilleur hôtel d’Autriche, Grand Austria Hotel ravira les amateurs de jeu à l’allemande. Attention toutefois : si vous décidez de jouer à 4, l’attente entre les tours de jeu risque de pénaliser votre expérience. On recommande surtout les parties à 2 et 3 joueur·se·s.
On aime :
- l’efficacité de la mécanique de jeu
- la rejouabilité
- la variété des stratégies possibles
- le système de pool de dés pour les actions
On aime moins :
- L’attente trop longue à 4 joueurs
Craquez vos PO si :
- Vous aimez les jeux de gestion à l’allemande
- Vous rêvez de gérer un grand hôtel
Quittez la partie si :
- Vous n’aimez pas les jeux calculatoires
Spaß !
Bourré de possibilités et de capacités spéciales (des cartes Client aux cartes Personnel), Grand Austria Hotel est un jeu à l'allemande très complet qui mettra en ébullition vos méninges. Ses cartes d'objectif et l'intervention de l'empereur augmentent de plus la rejouabilité d'un jeu à côté duquel il serait dommage de passer... Pour peu que vous aimiez jouer en petit comité. La version 4 joueurs présente en effet une attente trop longue pour le bien du jeu. A 2 ou 3 cependant, foncez !