Ô joie ! Nous voici revenus dans la deuxième moitié des années 90 / début des années 2000, l’époque où on enchaînait les parties d’Unreal et autres Quake, ivres de nos enchaînements de victoires ou dopés à l’idée de se venger de nos trop nombreuses défaites. Mais comme les jeux vidéo – c’est bien connu – sont pour les enfants (ça va, on rigole), on va cette fois le faire en version jeu de plateau (attends, quoi ?). Cette idée a priori saugrenue a germé dans l’esprit de Filip Neduk et c’est via Czech Games Edition puis IELLO en France que nous parvient Adrénaline. Enfilez vos armures du futur et entrez dans l’arène de ce premier FPS sur plateau.
Nous sommes en 2049 et les agents du gouvernem… Non je déconne, on s’en fout. Aujourd’hui, on va faire boum-boum pan-pan et on se moque bien de savoir pourquoi. Ce qu’on veut, c’est TUER ! (Non mais je vous jure que dans la vie, je suis un mec plutôt sympa, n’ayez pas peur.) Adrénaline oppose 3 à 5 joueurs (vous pouvez également faire jouer un bot mais on verra ça plus tard) dans des affrontements d’une durée annoncée d’environ une heure. Le plateau est modulable pour pouvoir jouer avec la disposition des pièces et faire une arène qui répondra à vos besoins (plus l’arène sera petite, plus ce sera violent a priori). La tuerie ne prend fin qu’après la 8ème (ou 5ème en partie d’initiation) mort, déclenchant une phase spéciale sur laquelle on reviendra également. Du coup, non, pour ceux qui se posaient la question, étant donné qu’il faut 8 morts et qu’on ne peut jouer que jusqu’à 5, vous l’aurez compris, il n’y a pas ici de mort permanente (permadeath) puisqu’un personnage tué reviendra en fait quasi instantanément en jeu (respawn).
Petit massacre entre amis
Si vous avez déjà joué à un First Person Shooter, et plus précisément à l’un des Fast FPS de la grande époque (c’est mon côté nostalgique), vous savez qu’on parle de jeux nerveux et rapides. Pour faire ça sur un jeu de plateau, il n’y a pas de secret, il faut que le joueur ait un nombre réduit d’options pour faire des choix rapides. C’est pourquoi un tour d’Adrénaline se déroule en effectuant deux actions au choix parmi les trois disponibles (vous pouvez faire deux fois la même action ou deux actions différentes) :
- Se déplacer de 3 cases maximum : Evidemment, on ne traverse pas les murs (les portes sont tout de même plus pratiques) et on ne peut pas se déplacer en diagonale.
- Se déplacer d’une case maximum puis ramasser une carte de ravitaillement ou acheter une arme : Chaque carte de ravitaillement rapporte 3 objets parmi les cubes de couleurs qui représentent les munitions et les cartes d’équipement. Les cartes de ravitaillement ainsi ramassées sont remplacées à la fin de votre tour. Acheter une arme rapporte… Ben une arme. Oui, c’est assez simple.
- Tirer : Oui ben c’est quand même le but du jeu de faire des trous dans l’adversaire ! Pour ça, il faut utiliser une des armes que vous aurez préalablement achetées et/ou rechargées.
Les dégâts infligés sont représentés sur le plateau individuel de la cible par des gouttes en plastique aux couleurs du tireur. Une fois que ces gouttes remplissent le plateau jusqu’au symbole de tête de mort, la cible meurt. Et c’est là qu’on entame le décompte des points ! Il y a deux points bonus accordés : un à l’adversaire qui a touché la cible en premier (first kill) et un autre pour celui qui l’a achevée (kill). Mais le gros des points va se jouer à la majorité. L’adversaire ayant infligé le plus de dégâts à la cible (donc ayant le plus de gouttes sur le plateau individuel) récupère le plus grand nombre de points disponible, puis le second récupère la deuxième valeur, et cætera. Une fois le décompte effectué, le finisher remplace le premier crâne disponible sur la piste des morts par sa propre goutte présente sur le symbole tête de mort et vient le placer sur le plus haut nombre de points de victoire disponible sur le plateau individuel de la cible. Ainsi, la prochaine fois que cette même cible sera tuée, elle vaudra moins de points, incitant de fait les autres joueurs à viser d’autres cibles.
Il est également possible de s’acharner sur une cible. Si on inflige plus de dégâts que nécessaire pour tuer une cible, on ajoute une goutte sur la dernière case libre du plateau individuel, celle avec un symbole de cible justement. C’est la case d’acharnement. Non seulement le joueur aura une goutte de plus dans la course à la majorité mais il pourra également placer cette goutte supplémentaire sur la piste des morts. Bien sûr, elle ne prendra pas la place d’un nouveau mort mais il y aura donc deux gouttes sur le même emplacement de mort. « Quel intérêt ? » me direz-vous. C’est simple : à la fin du jeu, le joueur ayant la majorité en nombre de gouttes sur la piste des morts remportera un bonus de points de victoire, le second également mais plus faible, et cætera. A noter qu’en cas d’égalité, c’est toujours le premier joueur chronologiquement parlant qui aura l’avantage (toujours l’esprit du first blood). Enfin, il est possible de marquer un point de victoire supplémentaire si vous arrivez à tuer deux adversaires dans le même tour. A la fin du tour du joueur actif, les joueurs décédés reviennent à la vie (respawn).
Vengeances entre tronches de Quake
Personne n’aime se faire tuer, même dans un jeu. Mais alors quand on s’acharne sur quelqu’un, cette personne a de quoi s’énerver ! Adrénaline matérialise cette envie de revanche via le système des marqueurs. Quand on s’acharne sur vous, vous placez une goutte de votre couleur en haut du plateau du coupable et la prochaine fois que vous lui infligerez des dégâts, cette goutte viendra augmenter lesdits dégâts. Mais les marqueurs sont également déployés avec certaines armes, renforçant le côté tactique puisque ça vous permettra de temporiser les dégâts sur un ennemi – sans offrir le kill sur un plateau à un adversaire – pour lui mettre des coups très violents pour l’achever par la suite. Eh oui, s’il n’est clairement pas stratégique, Adrénaline est bel et bien tactique. Vous pouvez toujours vous contenter de courir partout et de tirer à tout va mais vos chances de victoire en seront extrêmement réduites. Pour gagner, il faudra à la fois doser vos attaques, gérer vos munitions et même vos cartes d’équipement. Pire ! Votre santé également est un levier (même si vous n’avez pas vraiment la main dessus) puisque plus vous prenez de dégâts, plus vos options d’actions s’améliorent – d’abord en permettant deux déplacements avant une prise de matériel, puis en permettant un déplacement avant de tirer. Par contre, c’est la seule chose qui sera réinitialisée lors de votre respawn. Vous gardez tous vos objets (armes, munitions, cartes d’équipement) mais puisque votre santé est à nouveau au maximum, ces bonus d’action sont supprimés.
Parlons un peu des munitions. Elles servent à la fois à acheter des armes, à activer des attaques spéciales mais aussi à recharger vos armes. Car après chaque utilisation, votre arme devient inutilisable et vous ne pouvez recharger qu’à la fin de votre tour (donc non, impossible de tirer deux fois de suite dans le même tour avec votre lance-roquettes ultra puissant). Si vous pouvez en ramasser à tout moment dans l’arène (en utilisant l’action adéquate), vous serez néanmoins limité à un maximum de 3 cubes dans chacune des 3 couleurs disponibles et, évidemment, vos armes requièrent des couleurs précises pour les recharger ou invoquer leurs pouvoirs spéciaux. Côté cartes d’équipements, la multitude d’utilisations est également au rendez-vous (mais vous n’êtes pas limité à un certain nombre). Chaque carte possède un pouvoir et on peut l’activer en consommant tout simplement ladite carte. Mais on peut également utiliser une carte d’équipement pour remplacer un cube de munition (selon le cube décrit sur la carte). Enfin, ce sont également les cartes d’équipement qui, en les utilisant, définissent l’endroit où aura lieu votre respawn. Lors de celui-ci, vous tirez une carte d’équipement mais si vous en avez d’autres en main, vous pouvez utiliser celle que vous voulez. La carte défaussée vous fera apparaître sur le point de départ de la couleur correspondante. Ca tombe bien, ces « cases de respawn » sont également celles où vous pouvez acheter des armes. Ca peut toujours servir !
♫ Boom boom boom boom ! I want to do the boom ♪
Adrénaline est un jeu qui tourne bien et dont les mécaniques bien pensées permettent d’adapter efficacement le principe des FPS aux jeux de plateau… Si on fait un petit ajustement. De base, le jeu souffre vite de quelques longueurs selon le groupe de joueurs qui se trouvera autour de la table. En effet, rien n’interdit à un joueur de passer tous les scénarios possibles dans sa tête avant de faire son action et, puisqu’il est impossible de faire cette réflexion avant son tour (puisqu’on ne connait pas la configuration du plateau), un tour peut traîner. C’est pourquoi on vous conseille d’ajouter une contrainte de temps, par exemple 1 minute par tour maximum (réflexion et exécution comprises). Non seulement les temps morts disparaîtront mais la sensation d’impuissance lorsqu’on se fait canarder laisseront la place à la montée d’une envie de revanche bien moins frustrante. Surtout, et je crois que c’est la partie que je préfère, le sentiment d’urgence ressenti par le joueur le poussera à la faute, comme on peut en faire lorsqu’on joue à un Fast FPS en jeu vidéo.
En dehors de ça, le jeu de Filip Neduk est très réussi. Le joyeux bordel des FPS d’antan est bien retranscrit dans cette foire aux tirs meurtriers et les apports purement « jeu de plateau » tels que la gestion des cartes et des munitions ou encore le marquage compensent largement la perte de l’instantanéité des jeux vidéo qui ont inspiré Adrénaline. Le matériel est de qualité et si la direction artistique très tranchée et fluo peut laisser perplexe à première vue, elle prend tout son sens lorsqu’on est dans le jeu et qu’on se prend pour Duke. Les règles sont également bien faites puisqu’en plus d’être claires, elles se permettent des petites facéties qui vous font entrer dans le jeu avant même de l’installer, notamment avec les personnages qui viennent s’adresser directement au lecteur. On regrettera simplement un rangement pas simple dans la boîte, la faute à un thermoformage pas très réussi. Mais quand on en est à ce niveau de pinaillement, franchement, c’est que le jeu nous a déjà conquis.
Le jeu vidéo sur plateau, bonne idée ?
Pour terminer ce test, j’aimerais adresser un choix qui va diviser : le mode frénésie (et en fait, par extension, les modes de jeux alternatifs). En fin de partie, tous les joueurs récupèrent un tour de jeu durant lequel leurs actions sont améliorées et les points de victoire sont réduits lorsqu’on tue certains joueurs (je ne rentre pas dans le détail des règles ici). Forcément, ce tour fait beaucoup de dégâts et je pense – en tout cas c’était le cas autour de notre table de jeu – qu’il va diviser les joueurs entre les adeptes de jeux vidéo et ceux qui ne le sont pas. Si pour les premiers, ce tour ajoute du fun, les « non initiés aux jeux vidéo » (ou en tout cas les moins gros joueurs) le vivent plutôt comme un chamboulement inutile des règles. Toujours est-il que, de toute façon, ce n’est pas un tour qui va tout changer au sens où le dernier joueur ne deviendra pas premier. Par contre, si deux joueurs sont proches en terme de points, ça peut servir de mode « mort subite » pour les départager. C’est ce qui fait que cette règle n’est pas inutile, quoiqu’on en dise.
C’est donc une vision des choses très proche du jeu vidéo (pas étonnant vu l’inspiration d’Adrénaline). Et ce n’est pas la seule chose qui semble tout droit sortie du monde numérique ! On a par exemple la possibilité d’ajouter un bot, c’est-à-dire un personnage qui n’appartient pas à un joueur. Mais puisqu’on est sur un jeu de plateau, il n’y a évidemment pas d’intelligence artificielle. Et c’est là que le bât blesse. Le bot, s’il est mis en jeu, est en fait dirigé par un joueur différent à chaque tour. Pour ceux qui connaissent, c’est un peu le même principe que les aliens dans Argo : le bot a des actions possibles et le joueur le contrôlant en fait ce qu’il veut, mais uniquement pour ce tour. Dans notre partie avec un bot (nous n’en avons fait qu’une), nous n’avons pas été convaincus par son utilité. Toujours dans l’esprit jeu vidéo, deux modes de jeux alternatifs existent pour changer de ce qu’on pourrait appeler le death match que je vous ai décrit jusqu’ici. Le mode domination (type King of the Hill) demande qu’on garde le contrôle de certaines cases pendant un certain temps pour engranger des points tandis que le mode tourelle est plutôt comparable à un mode de difficulté Hard. On peut y prendre le contrôle de tourelles qui tirent automatiquement sur tout ennemi entrant dans la pièce ainsi que sur celui qui tentera de la récupérer. Si le mode domination ne fonctionne que moyennement dans cette version de plateau, le mode tourelles apporte, lui, beaucoup de tactique dans le jeu en permettant d’entraver les déplacements et d’insuffler une dose supplémentaire de risque pour reprendre le contrôle des tourelles ennemies.
TL;DR
Adrénaline est la transposition en jeu de plateau des Fast FPS que l’on affectionnait tant au début des années 2000 (oui, il en reste, je sais). Le pari est réussi grâce notamment à la compréhension des différences entre ces deux médiums qui a permis à l’auteur de renoncer à certains aspects des jeux vidéo pour ajouter des mécaniques de gestion propres aux jeux de plateau qui font d’Adrénaline un véritable succès en terme de gameplay. L’ajout d’une limite de temps par tour de jeu, non présente dans les règles, permet de sublimer l’expérience en ajoutant une nervosité qui pourrait sinon s’effiler avec une réflexion trop longue de certains joueurs. A moins que vous n’ayez peur de réveiller le tueur violent qui sommeille en vous, il serait dommage de passer à côté du jeu ! D’autant que, quand vous le maîtriserez, un mode difficile est d’ores et déjà prévu avec le mode tourelles.
On aime :
- le dynamisme
- le côté tactique
- la gestion des munitions et des cartes
- le système de valeur de cible dégressif
- le mode tourelles
- la qualité du matériel
On aime moins :
- le jeu peut devenir trop long
- le bot
- le mode domination
Craquez vos PO si :
- Les Fast FPS vous manquent
- Vous aimez tuer… Tuer. TUER. TUER !!!
Quittez la partie si :
- Votre détestez les affrontements
Ra-ta-ta-ta-ta-ta-ta / 10
Sang, fusils, lance-roquettes, rayons de la mort, décès. Quel beau programme ! Adrénaline transpose sur un plateau le concept des Fast FPS d'antan. Il prend toute sa dimension épique lorsqu'on convient de respecter le principe de vitesse sous-jacent. Sinon, le jeu peut vite devenir trop lent. Mais heureusement, j'ai confiance en vous, chers lecteurs, pour ne pas bousiller l'expérience de tout le monde et rendre justice à ce jeu qui se veut nerveux et SURTOUT fun ! Aux armes !