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[Critique] Legion : la multiplicité au service d’un tout

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Cette semaine sort sur nos écrans Logan, le dernier volet de la trilogie Wolverine, spin-off des séries de films X-Men de la Fox. Nombreux sont ceux (dont votre serviteur) qui accueillent très positivement les changements de ton et de thématiques par rapport au reste de la saga. Voir les X-Men autrement que comme de simples super-héros, saisir l’essence profondément humaine de ces personnages, c’est ce qui fait la force du comic book d’origine. C’est aussi ce que cherche à retrouver le film. Et s’il était possible d’aller plus loin encore dans cette approche ? S’il était possible d’utiliser le medium audiovisuel pour transcender le genre super-héroïque et créer une approche nouvelle de ce riche univers ? C’est ce que propose Legion, une nouvelle série signée FX débarquée en ce début d’année. Plongeons tête la première dans cette oeuvre.

 

Legion suit l'histoire de David. Un gars sympa... Avec quelques soucis
Legion suit l’histoire de David. Un gars sympa… Avec quelques soucis

 

Legion est la première série live-action tirée de l’univers X-Men – en attendant la prochaine qui devrait avoir Stephen Moyer comme acteur principal et s’annonce beaucoup plus conventionnelle – et suit les pérégrinations de David Haller (Dan Stevens, vu dans Downton Abbey ou plus récemment Beauty & the Beast). Diagnostiqué schizophrène paraoïde à un jeune âge, il est interné suite à une tentative de suicide. Entouré de patients dont certains deviennent ses amis comme Lenny Busker (Aubrey Plaza, vue dans Scott Pilgrim vs The World et Parks and Recreation), il tente peu à peu de se remettre sur pied en domptant sa maladie. Mais lorsque Syd Barrett (Rachel Keller, vue dans la série Fargo) est admise, tout change. David tombe sous son charme et l’attitude franche et sans compromis de la belle affecte notre héros. A partir de là débute une série d’évènements qui vont plonger David au milieu d’une intrigue qui le dépasse. Pris entre des révolutionnaires et une mystérieuse organisation qui le traque, il lui faudra admettre son statut de mutant.

 

Du déjà-vu ?

Avec un résumé comme celui-ci, on pourrait craindre une série foncièrement classique. En effet, en dehors de la condition psychologique de David, rien de bien nouveau dans tout ça. Et quand on sait que le Dr Melanie Bird (Jean Smart, vue dans Fargo également) veut faire comprendre au héros que ses symptômes sont de simples manifestations de ses pouvoirs, les attentes concernant Legion ont toutes les raisons de sombrer vers le néant. Pourtant, il n’en est rien. Le fait que Noah Hawley, déjà showrunner de Fargo, chapeaute le tout devrait déjà vous appaiser. Mais c’est en regardant le premier épisode que vous serez rassurés… Ou au moins assez décontenancés pour être conquis ! Legion n’est pas une série de super-héros. Du moins pas seulement. Elle est avant tout une série sur les problématiques soulevées par le statut de mutant. Attention, je ne parle pas ici de problématiques politiques. Il y en a, bien sûr, mais ce sont surtout les conditions individuelles qui fascinent.

 

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C’est beau l’amour. Oui, même lié par un bout de tissu, oui !

 

Rompre avec la routine

Exit les héros qui maîtrisent leurs pouvoirs en un épisode. Exit les scenarii simples et straight-forward. Exit les codes instaurés par les séries Marvel et DC déjà existantes. Dans Legion, on n’a pas affaire à un méchant bien défini et vraiment très très méchant. On n’a pas non plus affaire à un héros facilement cernable que l’on peut résumer à ses valeurs. Legion veut vous faire perdre pied. La série ambitionne de vous faire ressentir ce que vit David Haller. Pour ce faire, Noah Hawley et sa bande puisent dans la folie inhérente au personnage pour brouiller toutes les pistes et instiller le doute. Qui a raison ? Quels sont exactement les pouvoirs du personnage principal ? Ce qu’on voit est-il vrai ? Lorsque David pose cette dernière question à la fin du premier épisode, le spectateur est aussi perdu que lui.

Cette perte de repères n’est pas due qu’au personnage et à ses troubles. C’est surtout la réalisation qui, en nous plongeant au centre du cerveau de David, nous manipule. On ne sait plus si ce qu’on voit est une hallucination. On n’a plus non plus vraiment de repères temporels avec les nombreuses ellipses. Les codes visuels de la folie sont autant utilisés dans les scènes d’apparition que dans ce qui est censé être « vrai ». Ainsi, la scène de découverte du drame que je tairai bénéficie d’aplats de couleurs et de symétrie parfaite. Contrairement à ce qu’on peut lire ici et là, ce n’est pas un hommage à Wes Anderson. Ces choix esthétiques participent en fait à rendre la scène irréelle. Et si l’irréel est dépeint comme le réel et inversement, comment s’y retrouver ?

 

"Mais Syd, je te dis que je ne suis pas fou, voyons !"
« Mais Syd, je te dis que je ne suis pas fou, voyons ! »

 

Mythes et Légion-des

« Si c’est si compliqué, c’est que la série est réservée aux nerds. » Eh bien non car les mordus du comic book d’origine seront aussi largués. En effet, Legion (le personnage) est pour le moment relativement différent de sa base littéraire. Comme si la folie de ce dernier ne suffisait pas à embrouiller déjà le monde… Dans le comic, David est le fils du Professeur Charles Xavier. Il y est clairement établi qu’il souffre de Troubles de Dissociation de l’Identité et que chacune de ses personnalités a un pouvoir différent. Ce n’est pas pour rien s’il est l’un des mutants les plus puissants. La série semble se dérouler dans les années 60 ou 70, ce qui écarte la possibilité de la paternité du Pr. X si la série appartient au même univers que les films. De même, Legion ne souffre pas ici de TDI mais de schizophrénie paranoïde. Il n’abrite pas plusieurs personnalités mais entend des voix et a des hallucinations. A moins que…

Comme je vous l’ai dit, Legion vise la confusion à tous les niveaux. A l’heure où j’écris ces lignes, 3 épisodes sont sortis (sur 8). Si le premier épisode a suscité beaucoup de théories, aucune d’entre elles n’a à ma connaissance était complètement exclue par la suite. Legion fait partie de ces séries qui ne dévoileront leurs secrets qu’au compte-gouttes. Il est très probable qu’on ne comprenne ce qui se passe qu’à la fin de la première saison. Et encore, cette compréhension sera probablement lacunaire. C’est aussi ça qui fait la force de la série : elle est calibrée pour générer des théories et donc du buzz. Chaque spectateur en tirera sa propre interprétation forgée au fur et à mesure jusqu’à ce qu’elle soit validée ou invalidée.

 

"J'aime poser à côté d'animaux empaillés. Ca fait ressortir mon humanité."
« J’aime poser à côté d’animaux empaillés. Ca fait ressortir mon humanité. »

 

Ce que la série Haller d’être

A priori, la façon dont je comprends Legion n’a que peu d’intérêt. Mais il n’y a qu’en vous l’expliquant que je pourrai justifier ma critique. En effet, autant l’aspect objectif du « que se passe-t-il ? » que celui plus subtil du « de quoi parle la série ? » ne sont pour l’heure définis. Et autant la première question relève presque de l’anecdote, autant la seconde est cruciale quand il s’agit de juger une oeuvre.

L’arc narratif

En ce qui concerne le scénario, je pense qu’on est face à une version modifiée de l’arc Age of X des comics X-Men. En gros, l’idée serait que la série dans son entièreté se déroule dans la tête de David Haller. Rien de ce qu’on voit ne serait vrai. La très grande majorité des personnages seraient des personnalités différentes qui cohabitent dans son corps (d’où le « A moins que… » plus haut). Les autres, à savoir ceux qui le poursuivent, seraient une manifestation de personnages extérieurs pénétrant l’esprit du héros pour atteindre un but non encore dévoilé. Par exemple, il pourrait s’agir d’une tentative de soigner les troubles mentaux de Legion. Certaines paroles des hommes à la poursuite de David, en outre, vont dans ce sens. Dans ce scénario, même les « hallucinations » de David, dont le démon aux yeux jaunes, pourraient être des personnalités. Le Pr. X pourrait aussi finalement être le père. En effet, l’aspect 60s/70s est parfois désamorcé par des visuels modernes. La série pourrait alors se dérouler dans une époque contemporaine. L’aspect vieillot ne serait qu’une préférence subconsciente de David.

 

Le Dr. Bird veut aider David... Puis l'utiliser. Mais on a parfois l'impression qu'elle ne sait pas dans quoi elle a mis les pieds.
Le Dr. Bird veut aider David… Puis l’utiliser. Mais on a parfois l’impression qu’elle ne sait pas dans quoi elle a mis les pieds.

 

Le sujet et son traitement

Que cette théorie soit validée ou non, l’aspect le plus important de la série selon moi réside plutôt dans ses thématiques et le traitement de ses personnages. Qu’ils soient ou non des personnalités de David en somme. En bref, le sujet même de la série. L’intérêt principal de Legion est que la série s’exprime presque totalement au travers du prisme de la maladie mentale. C’est un sujet difficile et surtout très délicat. Surtout lorsqu’on le mêle à des pouvoirs surnaturels. Pressez un peu trop la relation pouvoir/maladie et vous avez un amas sans intérêt qui postule que les deux sont égaux. Ne la poussez pas assez et autant oublier la maladie.

Pourtant, la série aborde ce thème de façon légèrement différente. Elle se demande si les maladies diagnostiquées, au lieu de n’être que des mauvaises interprétations de pouvoirs, n’en sont pas des conséquences. En effet, le pouvoir de Syd l’empêche d’avoir des contacts physiques avec d’autres êtres humains. Mais cela n’-t-il pas pu déboucher sur le développement d’un véritable problème de sociabilité ? Plus globalement, le rejet subi face à l’incompréhension n’est-il pas de nature à provoquer des troubles psychiques et mentaux chez les jeunes mutants ? Vous l’aurez compris, Legion s’attque selon moi aux traits les plus psychologiques et les plus humains de l’univers des X-Men.

La schizophrénie de la forme au service du fond

Le mariage du fond et de la forme de Legion fonctionne à merveille. On l’a vu, la réalisation joue avec nos sens pour nous perdre. Mais c’est également ce sujet des afflictions mentales qui apporte beaucoup à cette sensation. Par exemple, le fait de placer le point de vue dans les mains de David permet d’utiliser la technique éculée du « narrateur non fiable ». Mais là où nombre de séries s’en servent comme artifice pour accrocher le spectateur, Legion s’en empare. J’entends par là qu’elle embrasse cette faille de David pour ajouter aux sensations qu’elle procure. Des sensations de désorientation notamment.

Qu’on se le dise, Legion est avant tout une expérience sensorielle au format audiovisuel. Cela peut paraître étrange, voire faire peur. Est-on face à une série expérimentale ? Non, rassurez-vous, on ne parle pas d’abstraction inaccessible. Partant du constat qu’on ne peut comprendre ce que vit un patient atteint de troubles psychologiques en se contentant d’explications, la série vise à nous le faire ressentir autant que possible. Cela peut donner du surréalisme au bord du comique, comme cette chorégraphie pseudo-bollywoodienne sortie de nulle part, ou un malaise palpable lorsqu’on ne sait plus vraiment ce qu’on regarde. Et l’étrange beauté irréelle de la réalisation et de la photographie ne font qu’ajouter à ce constat. Alors pourquoi ne pas vous laisser embarquer pour un voyage fou et prenant ?

 

"Bon allez, je me pose en attendant que vous regardiez la série et après on en reparle."
« Bon allez, je me pose en attendant que vous regardiez la série et après on en reparle. »

 

TL;DR

Le showrunner de Legion a su mettre tous les atouts de son côté pour en faire un incontournable de ce début d’année. La réalisation, assurée par Noah Hawley pour le pilote puis par Michael Uppendahl, tire vers l’organique autant que vers le léché extrême pour donner un résultat pourtant toujours sensoriel, lequel assure que l’on se perde autant que le personnage principal dans cette série innovante et étonnante, bien partie pour être celle de l’année. Il faudra tout de même attendre le 8e épisode pour se prononcer définitivement. Les incompréhensions étant au centre de Legion, espérons qu’elle échappera au flop qui fut fatal à Lost.

 

Même les gentils ne sont pas forcément rassurants. Quand on vous dit qu'il y a de quoi se paumer dans cette série !
Même les gentils ne sont pas forcément rassurants. Quand on vous dit qu’il y a de quoi se paumer dans cette série !

It's gonna be Legion-dary !

On se perd autant que le personnage principal dans cette série innovante et étonnante qui est bien partie pour être celle de l'année. La réalisation impeccable et le point de vue plus humain qu'à l'accoutumée en font un objet à part, à côté duquel il serait vraiment dommage de passer

8
Note finale:
8

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1 Comment

  • Reply
    Rouz
    02 Mar 2017 10:03

    joli jeu de mot sur la conclusion 🙂

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