22 ans après la sortie du chef-d’oeuvre de Mamoru Oshii, Hollywood nous livre sa version live-action de Ghost in the Shell avec dans le rôle principal Scarlett Johansson. Entre les polémiques sur le white-washing et la qualité souvent désastreuse des adaptations de produits culturels asiatiques par les grands studios américains, on ne peut pas dire que l’effort était attendu avec la plus grande sérénité. Ces craintes étaient-elles fondées ? Fait-on enfin face à une adaptation réussie ? Faisons un plongeon.
Le pitch
New Port City, dans un futur proche. Le cerveau d’une femme est récupéré après un attentat pour être transplanté dans un corps cybernétique. Le Major (Scarlett Johansson) est la première de son « espèce ». Prouesse technologique visant à transcender aussi bien l’homme que la machine, elle doit sa nouvelle vie à Hanka Technology et plus particulièrement à son PDG M. Cutter (Peter Fernandino) et à la responsable du projet 2571, le Dr Ouelet (Juliette Binoche). Très vite, elle est affectée à la Section 9, une division gouvernementale destinée à la lutte contre le cyber-terrorisme. Sous les ordres d’Aramaki (Takeshi Kitano), l’hybride enquête sur une vague de cyber-crimes orchestrés par un mystérieux terroriste répondant au nom de Kuze (Michael Pitt).
Ghost in the Sel
On va évacuer le gros du travail tout de suite en s’attaquant à l’éléphant dans la pièce. La question que tout le monde se pose concerne la qualité de l’adaptation. Tout d’abord, on notera que le film de Rupert Sanders est une adaptation de l’univers étendu Ghost in the Shell. En effet, si le premier film de la franchise est évidemment la base sur laquelle est construit cet opus, les emprunts à Ghost in the Shell 2.0 : Innocence et à la série animée Ghost in the Shell : Stand Alone Complex sont tout aussi nombreux ! Et oui, l’histoire provient bien du manga de Masamune Shirow à l’origine. Toutefois, le film de 2017 se base très clairement sur les réalisations audiovisuelles japonaises. Quant à l’histoire, elle est également fortement adaptée.
Adaptation est ici le maître mot. Et on ne peut nier la réussite de Ghost in the Shell dans ce domaine. L’oeuvre du britannique se montre respectueuse de son matériau d’origine sans verser dans la fidélité à outrance. Il en résulte un film moins contemplatif et moins subtil mais très efficace. Il ne faut pas perdre de vue que l’objectif d’une adaptation est précisément de modifier une oeuvre pour en créer une nouvelle qui sierra mieux à un nouveau public, comme on en avait déjà parlé dans cet article. En somme, le but de cette adaptation était d’ « américaniser » une oeuvre que beaucoup jugeaient inadaptable précisément parce qu’elle était intrinséquement japonaise. Or, le public américain n’est pas spécialement friand de plans contemplatifs. De même, il a l’habitude qu’on insiste sur les points de réflexion.
Ghostlywood
Alors attention, quand j’utilise plus haut le groupe nominal « public américain », il ne faut évidemment pas comprendre que cela englobe tous les américains et seulement les américains mais il faut plutôt comprendre « le public d’Hollywood » (qui englobe donc quasiment tout le monde) et les attentes que chacun a développé vis-à-vis de leurs productions. Par conséquent, cette version de Ghost in the Shell opère des changements importants. On passe par exemple d’une réflexion sur l’individu et l’individualité à quelque chose qui s’apparente plus à l’expression d’une individualité. Un thème bien plus proche des préoccupations habituelles d’Hollywood. Outre cela, on a également de l’insistance assez lourde sur les questions philosophiques et métaphysiques de l’effort. Mais ironiquement, cela rapproche l’adaptation du film 2.0 où les citations de philosophes étaient si nombreuses et les questions si appuyées que le résultat était presque prétentieux.
L’adaptation a également eu un fort impact sur la narration. Hollywood a pour habitude de tout expliquer, voire sur-expliquer. C’est ainsi que l’on se retrouve avec une origin story poussée (bien qu’archétypale). C’est également ce qui explique que le Puppet Master ait été évincé au profit de Kuze, un personnage plus proche des méchants habituels d’Hollywood, tout en gardant tout de même une profondeur un peu plus prononcée. Globalement, l’aspect émotionnel est renforcé aux dépends d’une partie de la réflexion de l’original. Mais encore une fois, tout cela participe à une bonne adaptation. En effet, c’est en partie ce qui rend l’oeuvre culturellement plus « abordable ». Il y a donc fort à parier que des personnes hermétiques à la culture japonaise préfèreront cette version.
Des félures dans la carapace
Pour en finir avec la la question de l’adaptation, intéressons-nous à ses failles. Si Ghost in the Shell évite de n’être qu’une copie du premier, il est très révélateur que son plus grand défaut se trouve justement dans les scènes que l’on pourrait qualifier de fan-service. En effet, certaines scènes sont directement copiées, plan par plan, des matériaux d’origine. Or, elles se révèlent être les plus faibles et ce, pour deux raisons. D’abord, elles s’intègrent parfois assez mal avec le reste du récit, jusqu’à ne faire absolument aucun sens. J’en veux pour preuve la scène des faux souvenirs de l’éboueur. Pas plus de précisions pour éviter les spoils mais si vous avez un doute, je suis prêt à en parler sur Twitter ou dans les commentaires. Ensuite, et c’est récurrent dans les adaptations, elles nous sortent du film. Dans les faits, la référence forcée à l’original nous renvoie violemment à notre statut de spectateur-connaisseur.
On sent que les intentions étaient clairement de rassurer les fans. Ca passe d’ailleurs par un travail admirable sur l’esthétisme, en particulier sur la photo et les décors. La fidélité à ce niveau va jusqu’à reprendre l’aspect des personnages dont Batou (Pilou Asbaek) et Aramaki. Mais puisqu’on parle d’Aramaki, il faut bien avouer – et croyez bien que cela me coûte – qu’il est l’un des points faible de ce Ghost in the Shell. Outre le fait qu’il soit inexplicablement le seul personnage parlant exclusivement japonais du long métrage, Takeshi Kitano nous livre ici une des interprétations les plus en retrait et les moins réussies de sa carrière. J’imagine que cela vient de la direction d’acteurs. Tout comme il a été demandé à Juliette Binoche de forcer son accent français, on a pu reprocher à « Beat » son acting trop tranchant. Trop japonais en somme. Mais ce n’est qu’une supposition.
Ourobouros
Contrairement au maître du film de yakuzas, la performance de Johansson est louable. Si son rôle impose une retenue, elle arrive tout de même à en transmettre la perte de repères. Elle brille également lors des séquences d’actions, badass comme jamais. Ces scènes, qui permettent un rythme plus soutenu que l’original, sont par ailleurs très bien chorégraphiées. Le sens du détail y est aussi présent que dans le reste du métrage, ce qui est franchement admirable. Pour le reste, l’acting est globalement plus que correct malgré un surjeu légèrement énervant de Juliette Binoche dont le rôle est intrinséquement exagéré.
De façon assez amusante, on peut remarquer que le film contient entre autres des références à Matrix, lui-même fortement inspiré par l’oeuvre de Mamoru Oshii. Il partage d’ailleurs avec lui une image léchée dont il pousse beaucoup plus loin le travail. Pas le choix si on veut coller à la vision de Shirow. Contrairement à l’oeuvre des Wachovski, Ghost in the Shell ne bénéficie par contre pas d’une Bande Originale mémorable. Le travail de Clint Mansell et Lorne Balfe n’est jamais marquant, s’effaçant derrière les scènes. Tout au plus osent-ils une revisite du thème mythique de Kenji Kawai sur le générique final. Heureusement, c’est bien mieux que l’horreur pondue par Steve Aoki lors de la promo.
TL;DR
Ghost in the Shell évite l’écueil du copier-coller pour devenir une adaptation réussie de l’oeuvre de Mamoru Oshii. S’il ne peut malheureusement pas s’empêcher de trébucher en copiant certaines scènes et en voulant répondre maladroitement à la polémique du white-washing, le long métrage de Rupert Sanders s’empare de son matériau de base pour livrer un objet culturel plus abordable pour les habitués des productions hollywoodiennes. Quasiment tous les reproches que l’on pourrait faire au film dérivent de la nécessité de cette adaptation. Une fois cela accepté, on se retrouve avec un spectacle très efficace de 2h servi par un casting de renom et des visuels marquants. Pas de doute que cette version plus punchy, moins contemplative, en un mot plus américaine de Ghost in the Shell saura ravir un large public tout en gardant un sous-texte intéressant bien que quelque peu réduit et transformé.
22 ans d'attente récompensés
Respectueux du matériau d'origine sans y être aveuglément fidèle, Ghost in the Shell est une bonne adaptation qui a su trouver sa propre personnalité. Ce sont d'ailleurs finalement les scènes les plus fidèles du film qui sont les plus faibles. Pour une fois qu'on a une bonne adaptation hollywoodienne d'un film asiatique, foncez !
5 Comments
Duncan Idaho
01 Avr 2017 7:54Je vais me refaire les films… Et surtout la série, tiens !
Benjamin
15 Avr 2017 11:05L’adaptation ne serait donc pas assez radicale pour être totalement réussie.
Scarlet Johanson est plutôt très bien (j’y vois même un intérêt réflexif majeur !) et le décor urbain dans lequel elle évolue est aussi assez incroyable.
Question : je n’avais pas pris conscience de cette polémique autour de l’origine ethnique des acteurs ? Elle vient d’où cette critique à l’origine ? Des Américains ? Du public français ? Des fans hardcore ?
Et une dernière question, car le mot me saute aux yeux, pourquoi l’ourobouros ici ?
Gizmo
19 Avr 2017 9:27Bonjour,
Je vais d’abord répondre à la question la plus « facile » : celle de l’Ourobouros. En fait, ce sous-titre est simplement lié à son deuxième paragraphe, concernant les références et particulièrement Matrix qui est lui-même inspiré de GitS. Un film référencé alors qu’il fait référence au film dont est inspiré le premier, c’est cocasse et ça m’a fait penser au fameux « serpent qui se mord la queue ». Mais ce n’est pas le seul dans ce cas 😉
Pour ce qui est de la polémique sur l’origine ethnique des acteurs (et particulièrement du personnage principal), elle a débuté aux Etats-Unis lors de l’annonce du casting. De nombreux acteurs d’origine asiatique se sont émus de ce changement qu’ils jugeaient (à raison selon moi) inutile. En effet, si le choix de Scarlette Johansson s’explique pour des raisons marketing, n’est-ce pas également un choix qui empêche toute évolution dans ce domaine ? Mais c’est un vaste débat qui mériterait des échanges poussés.
La polémique a ensuite été reprise sur les réseaux sociaux évidemment puis dans la presse spécialisée. Il n’y a donc pas que les fans hardcore de GitS qui aient été gênés par ce changement. Il faut dire que l’annonce a été faite à la même période que celle du casting de Tilda Swinton pour prendre le rôle de The Ancient One dans Doctor Strange (personnage également asiatique à l’origine). Elle a d’ailleurs été étonnamment ravivée avec le casting du personnage d’Iron Fist qui pourtant… Est blanc et blond dans le matériel d’origine. Bref, ça a fait pas mal de bruit – sur internet notamment – et je pense que l’équipe aurait mieux fait de ne pas adresser ce problème plutôt que de faire cette pirouette.
Benjamin
09 Mai 2017 9:52Merci pour ta réponse développée. Je crois que l’on se rejoint sur le film. « Film que je n’ai pas eu envie de ne pas aimer », car je ne l’ai pas trouvé déplaisant, car j’ai vu ses nombreux défauts, car je l’ai trouvé propice à différentes réflexions, possibles certes dès les premiers films de M. Oshii mais aussi, concernant surtout l’actrice principale donc, propres à ce film-ci.
J’ignorais ou j’avais oublié que Matrix puisait dans Ghost in the shell. Je comprends maintenant l’évocation du reptile grec.
En ce qui concerne Swinton dans Strange que l’on dise qu’il y a erreur de casting ne me gênerait pas (sans pour autant rentrer dans des polémiques de couleur de peau qui me sont étrangères).
isa
23 Juil 2022 11:12juste un mot: il faut prendre en compte le fait si la personne asiatique en question qui donne son avis vit en Asie depuis longtemps et ne connait que sa culture d’origine , OU si celle-ci connait aussi la culture occidentale . Le point de vus ne sera pas le meme. Perso j’ai etee adoptee de Coree et je comprends les POLEMIQUES et pour cause . Je n’ai rien contre les acteurs mais par contre les decideurs devraient se poser des questions….Par contre, pour le 1er cas, cette personne peut tres bien ne pas connaitre le contexte en question et affirmer que de tels cas ne la gene pas; voir c’est vu comme un hommage, « les gens voient le mal partout, sont aigris « etcs….en parlant deça j’ai vu une affiche pour une »semaine balinaise « pour un grand magasin et devinez quoi?????il y avait une mannequin BLANCHE dessus …a bon entendeur….desolee fallait que ça sorte…