Après un détour par le biopic spatial avec First Man et par la télévision pour deux épisodes de la série The Eddy, Damien Chazelle pose à nouveau ses caméras à Los Angeles, là où son énorme succès La La Land se déroulait. Mais cette fois, on change de temporalité puisqu’il va explorer le passage du cinéma muet au parlant, un sujet déjà largement traité par le médium au cours des décennies. La pierre de Damien Chazelle vient-elle embellir le monument ? C’est ce qu’on va voir tout de suite avec cette critique du film Babylon.
Alors qu’Hollywood n’en est encore qu’à ses balbutiements, Jack Conrad est l’acteur le plus bankable tandis que Nellie LaRoy aspire à intégrer le milieu, tout comme Manny Torres, un émigré mexicain qui trime dans l’ombre, s’occupant de toutes les basses besognes pour espérer gagner sa place sur un plateau de tournage. Larbin d’un producteur, il assiste à tous les excès du milieu, notamment lors de fêtes orgiaques démesurées pendant lesquelles il doit régler tous les problèmes, des demandes exubérantes des stars à la disparition discrète de cadavres. Babylon suit l’évolution de ces trois personnages (principalement, même s’il y en a d’autres), dans leur gloire et leur déchéance, à l’aube du cinéma parlant qui a fait disparaitre tant d’artistes.
Faste and pas si furieux
La première heure du long métrage se concentre sur les excès d’une industrie faste où les individus ne se refusent rien, poussés à assouvir leurs désirs par des grands manitous surpuissants. C’est ainsi que Manny se retrouve à devoir acheminer un éléphant au manoir du producteur pour lequel il travaille afin de faire sensation vers la fin d’une soirée orgiaque débridée où sexe, drogue et alcool suppriment tous les tabous, y compris l’âge des filles envoyées pour assouvir les déviances des stars. L’occasion pour Chazelle de faire montre d’une vulgarité à toute épreuve dans un rythme effréné. Gatsby et tous les autres films de Baz Luhrmann peuvent aller se rhabiller, on tente ici de dépasser les bornes du mauvais goût (pour un film relativement grand public, évidemment, on est loin de Salo ou les 120 journées de Sodome) dans une tentative désespérée (et désespérante) de toucher au subversif sans jamais y parvenir. Car qu’on se le dise, montrer une diarrhée d’éléphant sur une caméra ou une douche dorée par une gamine sur un vieux dégueulasse ne relève pas de la provocation. Mais soit, ça instaure le côté vulgaire et excessif du Hollywood des débuts. Ce qui fera d’ailleurs écho avec le changement d’ambiance, plus tard, au retour de la morale avec le code Hays qui, étonnamment, n’est jamais cité (encore un acte manqué).
C’est également dans cette soirée qu’on découvre Nellie LaRoy (Margot Robbie), une jeune femme délurée, tellement remplie de drogues qu’on se demande comment elle peut encore tenir debout. Au milieu de ses frasques bien trop chorégraphiées pour être crédibles, elle déclenche instantanément l’amour de Manny (Diego Calva) puis, dans la foulée, décroche un rôle dans un film par un concours de circonstance. Enfin, Jack Conrad (Brad Pitt) vient également à cette soirée et finit tellement bourré que Manny doit le ramener chez lui, ce qui le conduit à enfin accéder à un tournage le lendemain. Ca y est, tout est en place, le film peut commencer. Enfin continuer. Bref.
Baby-long
Vous l’aurez compris, le premier problème de Babylon est qu’il est long, beaucoup trop long. Bien des scènes auraient pu être coupées ou au moins raccourcies pour amoindrir cette durée de 3h10. Alors oui, c’est beau. La photo est magnifique et le savoir-faire de Chazelle en matière de réalisation, du moins au niveau purement technique, n’est plus à prouver. Si on ajoute l’excellente Bande Originale de Justin Hurwitz (que j’écoute en écrivant ces lignes d’ailleurs), ça aide grandement à faire passer la pilule. Mais il n’empêche que le film tourne en rond et se répète beaucoup, aussi bien sur le fond que sur la forme avec son motif pas très réussi du close-up sur les trompettes, par exemple. Gros point négatif du métrage d’ailleurs : pour un amoureux de la musique (et ça on ne peut pas le mettre en doute), le réalisateur ne semble pas avoir beaucoup d’idées (ou peut-être d’envie ?) pour la mettre en scène.
On sent que Damien Chazelle a peur que son message ne passe pas. Peut-être que ça vient du fait que son La La Land a été majoritairement incompris, le public et mêmes certains critiques passant à côté du thème pourtant central du coût des rêves, du sacrifice que l’art impose. En se concentrant cette fois sur le cinéma, son propre art, on pourrait croire que le message devienne assez clair. Mais il semble que le réalisateur ne soit pas du même avis. Si bien qu’il le martèle, encore et encore, jusqu’à ce que le spectateur hurle qu’il a compris et qu’on peut passer à autre chose. Certes, cette fois il creuse un peu plus les raisons de ces sacrifices et explicite la façon dont la machine broie ses propres rouages. Et il n’est pas interdit de revisiter tous ces thèmes déjà présents dans sa comédie musicale. C’est d’autant plus dommage que sa scène la plus réussie en la matière, amenant de plus un discours sur le dialogue entre les films qu’on ne faisait qu’effleurer jusque là, est la toute dernière scène du film. Un peu on the nose, elle présente le risque d’être mal interprétée comme un excès d’ego. Pourtant ce n’est pas le cas. Manny y devient une version fantasmée de Chazelle et véhicule une palette de sentiments assez complète en quelques minutes. Si seulement elle venait clôturer un film resserré et non boursoufflé…
Y Akkad-ire que c’est une réussite
Loin des ses inspirations concrètes comme Sunset Boulevard ou Singing in the rain, Babylon évoque plus Gatsby le Magnifique, comme on l’a dit, ou encore Once Upon A Time in Hollywood. Certains en seront enchantés. Pour moi, ça hume plutôt la lourdeur et les films de poseur (oui, désolé, je ne trouve pas du tout que ce soit le meilleur film de Tarantino). Convoquant des caricatures (dont je ne doute pas qu’elles aient existé, mais tout de même), le film s’enferme lui-même, tout comme ses personnages et ses acteurs. Loin d’être mauvais, ils n’ont pourtant pas la place pour briller dans ce fatras artificiellement survitaminé. Celle qui en souffre le plus est sans aucun doute Margot Robbie, encore une fois prisonnière de ce qui est en train de devenir son rôle sempiternel, celui d’une Harley Quinn sous cocaïne dont la force est somme toute assez illusoire puisqu’elle a toujours besoin d’être sauvée. C’est triste, surtout que son talent est évident. J’espère donc qu’elle sortira de ce carcan et ne deviendra pas la Johnny Depp féminine.
Malgré tous ces reproches que je peux faire à Babylon, il serait malhonnête de ma part de ne pas reconnaitre que le film est réussi. Car oui, son but est de faire passer un message sur les périodes de transformation d’Hollywood, ce qu’il fait. Et au milieu de toutes ces oeuvres qui ont à peu près le même point de départ (The Fabelmans, Armageddon Time, etc), Babylon fait figure d’OVNI en restant très éloigné de l’autobiographie réelle ou fantasmée. C’est une approche relativement originale du sujet, je ne peux pas dire le contraire. C’est d’ailleurs sans doute pour ça que je ne décourage pas les gens d’aller le voir. Reste qu’un projet de pédagogie plus rébarbative qu’un Teletubbies sous crack m’enchante peu et me déçoit, même, venant d’un cinéaste ayant eu des débuts si prometteurs.
Alors faut-il aller voir Babylon en salles ? Je ne peux pas vraiment répondre à votre place. Les ingrédients pour un bon film sont là, des acteurs excellents aux qualités plastiques indéniables, en passant par certaines scènes d’émotion réussies. Mais empêtrés dans ce qui veut ressembler à un gloubi-boulga infernal, la sauce ne prend jamais vraiment et on sent les 3h10 du film passer. Point positif : il n’y a absolument aucun risque que vous ne compreniez pas le film. Car n’en déplaise aux bouffons se prenant pour des intellectuels, nul besoin d’être un.e grand.e cinéphile pour « percer le mystère » de Babylon. Il vous prend par la main pour être sûr de ne pas vous perdre, quitte à vous frustrer. C’est aussi ce qui amoindrit sa folie et la rend superficielle.
TL;DR
Damien Chazelle revient nous parler de cinéma, de sacrifice, d’un Hollywood impitoyable et de la beauté du dialogue entre tous les films dans une oeuvre qui se veut épique. Malheureusement, les nombreuses répétitions annihilent la force évocatrice de la folie que le réalisateur essaie d’insuffler à son métrage. Radotant, Babylon s’assure d’être bien compris mais abandonne tout espoir de transcender son message. Ce n’est pas le magnum opus qu’on était en droit d’espérer. Dommage car les bons éléments ne manquent pas. Mais le tout ne prend pas vraiment et lasse à plusieurs reprises, à l’image de son utilisation clichée d’une Margot Robbie en train de s’enfermer dans un rôle quand elle a pourtant tant de talent. On se console en faisant tourner en boucle l’excellente bande originale de Justin Hurwitz mais même ça nous rappelle qu’on est face à un beau gâchis.
Sodome et NO MORE, PLEASE !
Dans un effort démesuré de pédagogie, Damien Chazelle oublie un peu la magie du cinéma qu'il professe pourtant tout au long de son métrage. En résulte un effort boursoufflé et répétitif qui ne transcende pas sa vulgarité ni son propos. Babylon est plastiquement réussi mais ennuie à force de prendre ses spectateurs pour des abrutis. Damien, le professeur attend mieux au prochain trimestre !