Avec Assassin’s Creed Syndicate, Ubisoft nous fait découvrir Londres à l’époque victorienne. Quand le jeu démarre, nous sommes en 1868 et les jumeaux Jacob et Evie Frye viennent d’arriver dans cette ville-fourmilière où la révolution industrielle attire sans discontinuer des milliers de travailleurs. En résidence chez Ubisoft pendant 2 ans et demi, l’historien Jean-Vincent ROY a veillé pendant tout le développement du jeu à ce que la cohérence historique soit respectée au niveau de l’architecture, des monuments, du contexte social et industriel. Derrière le jeu, revivez la réalité sombre du Londres de l’époque !
Une immigration massive vers un monde moderne
Démarrée aux alentours de 1760, la révolution industrielle britannique permet l’essor de plusieurs industries qui s’installent à Londres, nouvelle plaque tournante du commerce international. Ce développement économique vient de plusieurs facteurs.
- La révolution agricole a permis à la population anglaise de croître sans crainte de la famine. La démographie a explosé et le nombre de paysans a diminué alors que le nombre d’ouvrier a augmenté face à une demande de main-d’œuvre accrue des usines textiles et de charbon.
- L’Angleterre est le premier pays à utiliser le charbon de terre à la place du charbon de bois.
- Le pays a une géographie idéale au développement de son commerce : le transport maritime ou fluvial est important (aucune ville anglaise à plus de 100 km de la mer) et les matières premières abondent (mines de charbon).
- L’expansion coloniale : à partir de 1885, le port de Londres accueille annuellement 20 000 bateaux et exporte pour 100 millions de livres. Les navires viennent du monde entier et les marchandises sont stockées dans les docks en attendant des acquéreurs.
Ce contexte fait qu’en 1851, Londres compte déjà 2 362 236 personnes pour atteindre les 4 463 139 en 1897. A l’aube du XIXème siècle, on dit même de la ville qu’elle abrite plus d’Irlandais que Dublin, plus d’Ecossais qu’Edimbourg et plus de catholiques que Rome. « Magnifique et sombre ville. L’activité y est tumulte et le peuple y est fourmilière », Victor Hugo, 1864. Londres embauche et attire investisseurs et ingénieurs et la révolution industrielle fait rapidement de la ville le modèle à suivre en terme de modernité. Deux inventions majeures font particulièrement parler d’elles :
- l’électricité : dès 1882, l’éclairage électrique se développe et se généralise dans les foyers privilégiés.
- le métro : la Metropolitan line est entrée en service en 1863. C’est la plus ancienne ligne de métro du monde et pendant 40 ans, le métro fonctionne grâce à des locomotives à vapeur.
Dès 1850, l’inéluctable se produit : l’immigration provoque une forte crise du logement et les inégalités se creusent. Londres devient une métropole où la richesse et la misère se côtoient désormais étroitement et ce sont les ouvriers des usines à charbon qui, particulièrement surexploités et pauvres, vivent dans les quartiers les plus mal famés. « Le Londres vivant, les yeux rouges, les poumons irrités, la respiration sifflante, clignotait, éternuait et suffoquait », Charles Dickens, L’ami commun, 1864.
La misère et les contestations de la classe ouvrière
A travers Jacob et Evie Frye, le joueur découvre le quotidien de la classe ouvrière. Alors que les coûts de production diminuent (en 1769, James Watt a inventé la machine à vapeur), les travailleurs ne bénéficient pas des avancées technologiques et ce n’est guère mieux dans le commerce maritime. Les docks de Londres emploient jusqu’à 3000 journaliers et les seules conditions pour être embauché sont d’être fort et de travailler dur. Construits en 1805, les entrepôts des London docks accueillent annuellement jusqu’à 260 000 tonneaux de marchandises et les caves jusqu’à 380 000 hectolitres de vin.
« Des montagnes énormes et des rangées sans fin de sacs, de tonneaux, de caisses, de ballots encombrent les quais, les digues et les ponts », E. De Amicis, Souvenirs de Paris et de Londres, 1880. La classe populaire et les marginaux vivent dans des taudis et caves surpeuplées. Les chambres les moins chères coutent 2 à 3 shillings par semaine (1 shilling = 0,06 centimes d’euro). Qualifiée de « Babylone noire » on appelle désormais Londres « La Babylone du vice ».
Il faut savoir qu’en 1851, un Londonien sur vingt-cinq appartient à la classe supérieure. Les autres sont des travailleurs manuels et les grèves et contestations ne tardent pas à éclater… Le romancier Charles Dickens s’est d’ailleurs fait connaître en décrivant les conditions de vie des travailleurs des usines de charbon, de l’industrie du bâtiment et des usines textiles: « Revenu annuel : vingt livres ; dépenses annuelles : vingt livres, zéro shilling, six pence ; résultat : la misère », Dickens, David Coperfield, 1850. Entre 1838 et 1848, des grèves font la Une des journaux. En 1838, la moitié des dockers, soit 1500 travailleurs, stoppent le travail pendant 5 jours tandis que l’autre moitié est insultée par les confrères grévistes les appelant « les casseurs de grève ». Le mouvement du chartisme n’en est qu’à ses balbutiements et des améliorations n’arriveront qu’aux alentours de 1887.
Le développement des gangs
Pauvres et épuisés, certains londoniens décident de se tourner vers un nouveau type de famille, les gangs, qui prolifèrent aussi vite que la richesse et la pauvreté. Dans les années 1850, un nouveau type d’agression prospère avec eux : la garotte, qui consiste à étouffer un passant pour lui faire les poches. Dans le Daily News du 18 juillet 1862 les rues sont décrites comme un « champ de bataille pour cochers de fiacre en furie le jour, et un repaire de détrousseurs et d’assassins la nuit. » Par contre, les gangs officient rarement dans les quartiers populaires où la misère grandit et ils préfèrent dépouiller les fortunés qui ne cessent de s’installer à Londres.
Des quartiers vivent sous leur loi et dès 1850, les quartiers de St Giles’s, Saffron Hill, Bermondsey et Southwark sont désertés par la police. Les enfants des rues, les orphelins, deviennent des proies faciles pour les gangs qui les forment à descendre par les cheminées des riches propriétaires pour déverrouiller les portes d’entrée par exemple. Leur petite taille leur permet aussi d’être des pickpockets discrets. Les gangs étaient souvent la seule option pour survivre dans un environnement où la misère est si forte que même les autorités s’en détournent. Encore aujourd’hui, la lutte des gangs à Londres reste d’actualité même si leurs forfaits n’ont rien de comparable avec ceux de la fin du XIXème siècle.
2 Comments
mia
11 Nov 2015 1:50Une saga mythique !
Kyra
17 Nov 2015 8:39Une saga mythique qui se prend de plus en plus de taquets. A suivre de près !