Vous le savez : le Loading est cette rubrique où l’on invite nos lecteurs à publier leurs écrits ! Aujourd’hui, nous recevons avec grand plaisir Sylvain. Fan invétéré de Zelda et plus largement de ce que l’on appelle aujourd’hui le neuvième art, il nous partage sa critique du livre « Du sang, des Larmes et des Pixels ». Écrit par Jason Schreier et sorti un peu avant l’été, celui-ci vous relate les anecdotes et témoignages autour de la création difficile des jeux vidéo… Une lecture passionnante à n’en pas douter, et qui remettra sûrement quelques esprits en place ! On ne pourra que recommander cet ouvrage à tous ceux qui pensent que travailler dans le jeu vidéo est un métier-passion qui fait de chaque jour un épisode radieux dans un ciel sans nuage… Mais laissons plutôt Sylvain vous en parler ! Moi, je cours acheter le bouquin…
Chaque jeu terminé est un miracle en soi. C’est par ces mots qu’est introduit Du Sang, des Larmes et des Pixels, une enquête de Jason Schreier, journaliste pour Kotaku, ainsi que le premier essai traduit et édité par Mana Books. Durant les 380 pages du livre, l’auteur revient sur les complications rencontrées par dix jeux durant leur développement. Les softs sont tous connus du grand public et vont du gros AAA très attendu (Diablo III, Destiny, The Witcher 3) à certains succès indépendants (Stardew Valley, Shovel Knight). Plus surprenant, Star Wars 1313 et Halo Wars sont aussi au programme et viennent notamment illustrer les fermetures de studios.
Dix jeux, dix histoires et des dizaines de galères
Chaque chapitre est indépendant et revient sur un jeu avec une partie de ses créateurs. Page après page, le livre tente de répondre à une question : pourquoi est-il aussi difficile de faire un jeu ? Il évoque des promesses imprudentes faites lors d’un Kickstarter, des projets rebootés après plusieurs années de développement, les imprévus techniques, les pressions venues des éditeurs ou les difficultés à planifier efficacement certaines tâches. Le livre tente de démystifier cette industrie et donne une bonne idée des moyens colossaux nécessaires au développement d’un jeu tout en soulignant que la créativité et l’efficience des équipes ne peut jamais être constante.
Vous vous êtes certainement déjà demandé pourquoi une fonctionnalité promise finissait par disparaître, comment on en arrive à des patch day one de plusieurs gigas, ou ce qui peut justifier le quatrième report d’une suite très attendue. Ce livre apporte de nombreux éléments de réponses allant au-delà de la simple langue de bois habituelle. Dans l’industrie du gaming, la culture du secret et du NDA est omniprésente et c’est pourquoi la parole des artistes et des développeurs est aussi rare que précieuse lorsqu’il s’agit d’aborder les aspects les moins reluisants de la conception d’un titre.
Au total, Schreier s’appuie sur une centaine de témoignages, qu’ils soient anonymes ou non. Chaque cas est abordé de l’intérieur et l’auteur ne cherche jamais à juger les choix ou à commenter les propos. Chapitre après chapitre, on comprend que la réalisation d’un jeu est un chemin semé d’embûches et qu’il n’existe aucune recette miracle permettant de mener à bien un projet de bout en bout. Chaque studio débute un développement dans une situation de départ particulière et avec des contraintes qui lui sont propre. Le produit final sera le résultat d’un long processus itératif où chaque succès cache un nombre conséquent d’échecs, de compromis et de remises en question. Plus que la concrétisation d’une vision, un jeu terminé est la somme des galères qu’il a rencontrées.
Une industrie qui broie ses employés
Invariablement, la question du crunch se pose pour chaque titre. Du sang, des Larmes et des Pixels vous fera probablement réaliser à quel point ces longues périodes de développement – aussi intensives qu’éprouvantes – sont ancrée dans les meurs et s’étirent sur de nombreux mois. Le livre vous permettra de prendre un peu de recul sur cette problématique et de comprendre quelles peuvent en être les causes. On réalise alors l’effort surhumain demandé à chaque personne. Evidemment, la première conséquence du crunch est le déséquilibre total s’opérant entre vie privée et vie professionnelle. Le livre évoque les angoisses grandissantes, les employés en burn-out préférant démissionner ou ceux sacrifiant leur santé ou leur famille pour pouvoir tenir le cap face aux difficultés financières, au niveau d’exigence attendu, aux dead-lines intenables ou aux décisions hâtives quasi-impossibles à assumer. Si au fil des pages tout le monde s’accorde à dire que cette habitude ne devrait pas être aussi systématique, il est désolant de constater que personne ne semble voir comment s’en passer ou comment limiter les dérives.
En plus de ces témoignages éloquents, le livre peut aussi se voir comme une série de dix petits making-of. Les anecdotes sont nombreuses et l’histoire derrière chaque jeu est toujours passionnante à découvrir. Le travail de recontextualisation et la volonté de rendre les propos intelligibles est admirable. Ne pas s’être intéressé à l’un des jeux évoqués ne sera jamais un frein, mais si vous voulez en savoir plus sur l’ambiance chez Blizzard lorsque le monde découvrait la tristement célèbre Erreur 37, si vous voulez comprendre pourquoi l’équipe derrière Uncharted 4 était sur les rotules avant même l’officialisation du titre ou si vous voulez découvrir la douloureuse pré-production de Destiny, vous en aurez pour votre compte.
Mon seul reproche concernant Du sang, des Larmes et des Pixels vient de la sélection des jeux qui ne fait aucune place aux studios japonais. Forcément, on imagine qu’il était plus facile pour Schreier d’interroger des développeurs anglophones et on sait aussi à quel point l’industrie nippone est muette lorsqu’il s’agit d’évoquer ses coulisses, mais cela aurait pu apporter un éclairage supplémentaire intéressant.
Une lecture que l’on recommande
Si vous envisagez d’intégrer un studio de développement, Du sang, des Larmes et des Pixels est une lecture indispensable qui vous donnera un large panel des galères pouvant survenir, qu’elles soient techniques, financières ou humaines. Le livre évoque aussi ponctuellement le vertige du succès ainsi que les dépressions touchant certains créateurs suite aux longues périodes de crunch.
Cependant, le public potentiel s’étend bien au-delà de cette frange. Une part importante des problèmes détaillés peuvent se rencontrer dans d’autres industries artistiques ou liées au développement informatique. Aussi, sa lecture aidera certainement une partie des joueurs à comprendre l’importance des phases de pré-production, le poids de l’humain dans chaque développement et les difficultés inhérentes au pilotage d’un projet. Qu’il s’agisse de très grandes équipes ou de développeurs solitaires, ce livre nous rappelle que chaque jeu est une aventure où les individus sont les maillons d’une chaîne pouvant céder à n’importe quel moment sous les pressions qu’elle subit.
Pour information, Mana Books propose gratuitement sur son site le chapitre dédié à Diablo III, de quoi vous faire une idée plus précise du ton et du contenu du livre.
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