Trois ans après le premier trailer, Death Stranding est sorti sur PS4. Beaucoup de choses ont été écrites et dites à son sujet, et ce test n’a pas pour prétention d’apporter quelque chose de nouveau. Mais après avoir terminé le jeu, il fallait pourtant en écrire quelques mots. Simplement parce que ce jeu, qu’il soit aimé ou détesté, marquera cette génération de console.

Après la difficile genèse de Metal Gear Solid V par son géniteur Hideo Kojima, Konami avait pris la décision de se séparer de l’un de ses créateurs de génie. Kojima avait alors fait le pari de créer son propre studio, Kojima Productions, et de revenir sur le devant de la scène grâce à son premier jeu entièrement développé et produit par ses propres soins. Ainsi arrive Death Stranding, sorte de bouée de sauvetage de l’ambitieux Kojima.

Revenu d’entre les morts

Nous avions déjà parlé de Death Stranding ici, à l’époque où les trailers se suivaient en apportant toujours plus de mystère au titre. Internet s’était activé à pondre des dizaines de théories sur le jeu et son contenu à partir de quelques images de plages mortes, de guerre macabre et de fantômes de pétrole. Sans comprendre le lien entre tout ces éléments, tout était alors imaginable. La difficulté de ce test est donc de décrire autant que possible le jeu, sans pour autant détruire cet imaginaire chez les joueurs qu’il pourrait encore séduire.

Le Death Stranding est un cataclysme ayant détruit la civilisation actuelle, laissant sur Terre quelques survivants réfugiés dans des cités souterraines et une surface retournée à l’état sauvage. Le cataclysme a été provoqué par la connexion entre le monde des vivants et celui des morts. Les âmes des défunts qui rejoignent la surface pour retrouver leur corps provoquent une « néantisation »: une destruction massive. C’est dans ce contexte sombre que le jeu nous place dans la peau de Sam Porter, un coursier dont la mission consiste tout simplement à relier les villes souterraines pour livrer toute sorte de matériel. Et renouer le lien entre les populations dans un monde en ruine.

Alors oui, autant le dire tout de suite: Death Stranding est un jeu de livraison. Votre rôle est de livrer du matériel, et vous aller passer 95% de votre temps à livrer des paquets à droite et à gauche. C’est même probablement le plus vaste walking simulator jamais créé. Et si vous êtes en train de vous dire qu’un jeu de marche où il faut livrer des paquets n’a aucun intérêt, je suis d’accord avec vous… Mais ne partez pas tout de suite! Car Death Stranding est certes bien ennuyeux sur le papier, mais en pratique il parvient pourtant à détruire les aprioris pour donner une âme à un jeu qui en semble dépourvu.

Seul dans la foule

Le gameplay de Death Stranding repose sur un concept bien particulier: il s’agit d’un jeu multijoueur, sans aucun autre joueur. En apparence, vous errez seul dans un paysage désolé. Mais plus vous progressez dans le jeu, reliant les villes les unes aux autres, plus vous réalisez que vous n’êtes pas le seul à avoir fait ce chemin. Le jeu vous montrera que le chemin que vous avez emprunté pour arriver a déjà été emprunté par d’autres, le transformant en sentier. Un panneau d’avertissement, laissé par un autre joueur, vous indiquera d’un danger sur votre route. Un pont traversant une faille, construit par un autre joueur, vous permettra de gagner du temps en évitant un détour périlleux. Les autres joueurs ne sont pas présents, mais ils sont omniprésents par leurs constructions, leurs messages et leur aide.

Le jeu mise donc sur la coopération, l’entraide indirecte entre les joueurs évoluant chacun dans leur monde solitaire. Le gameplay est une mise en abîme du scénario, de votre personnage solitaire évoluant dans un monde qui veut à tout prix reconnecter sa population. A vous alors de tirer profit des passages des autres, où de laisser votre trace dans le paysage en construisant votre propre structure qui profitera aux joueurs qui vous suiveront. Rassurez-vous cependant: en commençant le jeu, même bien après la sortie, vous ne trouverez pas un monde rempli de constructions parasites. Le jeu s’adapte, et introduit progressivement ces constructions selon votre progression, en ne sélectionnant que quelques unes parmi l’infinité qui doit actuellement exister.

Petit bémol cependant : bien que le jeu soit multijoueur par nature, impossible de choisir les joueurs dont la présence pourrait vous aider. Vous ne pouvez choisir de partager vos constructions et votre monde avec celui d’un ami, évoluant ainsi en parallèle en influençant vos parties respectives. Le jeu met l’accent sur l’aspect aléatoire des liens humains, l’entraide gratuite et désintéressée, entre joueurs qui ne se connaissent pas. Cela peut être frustrant pour certains, mais contribue probablement à l’aspect philosophique et artistique du jeu voulu par Kojima.

Un pont vers l’avenir

Death Stranding n’est pas un jeu vidéo ordinaire qui vous demanderait de récupérer trois champignons et quatre cristaux pour le compte du commerçant du coin qui ne peut pas le faire lui-même. La livraison est un prétexte. Un prétexte nécessaire pour obliger le joueur à arpenter le monde, trouver un chemin, et relier des cités. Tout cela est justifié par un scénario dont je ne parlerai pas ici pour en préserver chaque surprise, mais qui donnera aux amateurs de cinéma et des histoires de Kojima de quoi passer un moment inoubliable. Arpenter le monde, en parcourir chaque kilomètre avec la patience et la détermination qu’il faut pour en franchir les obstacles, c’est le propos du jeu.

Bien entendu, il y a de l’action et des combats, mais ils sont anecdotiques. Ils ne sont que des aléas sur votre parcours. Pourtant les menaces ne manquent pas, et vous apprendrez petit à petit à vous sortir de toutes les situations. Des améliorations et nouveautés dans le gameplay arriveront tout au long du jeu pour vous permettre d’y parvenir. Le jeu guide le joueur sur un chemin sinueux et complexe, sans jamais le materner et lui imposer un rythme ou une méthode. Death Stranding est une expérience vidéoludique, qui a le mérite de proposer quelque chose de novateur à une époque où les jeux AAA se ressemblent terriblement dans leur gameplay et où l’absence de créativité ou de prise de risque favorise la mode du remake.

Il est évident que le jeu déplaira à certains, qui pourraient rester insensible à son message. Mais même ces joueurs ne pourront pas renier la beauté du jeu. Les paysages sont magnifiques, évoquants à la fois l’Islande et ses paysages de lave où les sommets enneigés de l’Himalaya. Le jeu fait honneur à la planète, fait spectacle de la désolation en offrant de la contemplation à chaque minute. Pour couronner le tout, la bande originale est parfaitement travaillée pour sublimer l’expérience visuelle proposée par une mise en scène dantesque et un casting de standing. Les images reviendront immédiatement en tête à l’écoute de ces morceaux, complices d’une ambiance immortelle créée par un jeu mémorable.

Le mot de la fin

Death Stranding n’a pas de comparaison. Il démontre sans équivoque que le jeu vidéo est un art, et que l’on peut encore créer des expériences nouvelles dans le média. A une époque du tout connecté et de l’ultra-rapide, Death Stranding prône la tranquillité, la beauté et la solitude. Sublimé par un scénario riche, un graphisme soigné et une bande son envoûtante, il donne un second souffle à une génération de console en fin de vie. Et c’est peut-être cela, le but de Death Stranding : faire renaître de ses cendres une console dont la relève est déjà annoncée, et montrer qu’il est encore possible de toucher et de surprendre. La créativité n’est pas morte, elle est même plus vive que jamais.