Si je vous dis « Asobo Studio », vous penserez peut-être à leurs premiers jeux sous licence pour Pixar. Après tout, ‘faut bien manger quand on se lance ! Ou bien vous penserez aux décevants Recore et Quantum Brake ? Ou alors vous aurez un peu de compassion et vous me rappellerez qu’ils ont tout de même à l’origine de l’excellente franchise The Crew ? En tout cas il est bien une chose sur laquelle on se mettra d’accord : quand ils ont balancé les premières images d’A Plague Tale début 2017, ils faisaient figure d’outsider total. Mais tout le monde était déjà séduit par leur projet qui sortait définitivement du lot par sa direction artistique aux allures de AAA. Peut-être nous apprêtions-nous simplement à voir le papillon sortir de sa chrysalide ?
This is La Peste
Il faut dire que les prod’ françaises discrètes qui envoient du pâté sans prévenir ont été si nombreuses dernièrement qu’il y avait de quoi froisser quelques vegans ! Dead Cells, Life Is Strange, Dishonored, Furi… Autant de petits bijoux qui nous rendent plus que jamais attentifs à ce type de propositions.
C’est dans ce contexte qu’A Plague Tale: Innocence a fait son apparition. Récemment sorti sur PC, PS4 et XOne, il a d’emblée séduit le public et la presse avec une identité visuelle à faire pâlir d’envie quelques créas de chez Naughty Dog.
A Plague Tale nous embarque au XIVè siècle, en France, en plein contexte de guerre et d’épidémie de peste. Vous y jouez Amicia de Rune, héritière du haut de ses 14 ans d’une petite famille de nobles. Les premières minutes de jeu plantent le décor…
Élevée surtout par votre père qui vous a appris la débrouillardise et le maniement de la fronde, vous avez été tenue à l’écart de votre mère. Cette dernière se dédie en effet corps et âme à l’éducation et aux soins de votre jeune frère de 5 ans : Hugo. Atteint d’une maladie mystérieuse dont on sait très peu de choses hormis qu’elle l’oblige à vivre reclus, lui et Amicia se connaissent à peine.
Au beau milieu d’une balade bucolique avec votre père, d’étranges phénomènes apparaissent brusquement dans la nature, signes d’une épidémie naissante… mais virulente. Affolés par cet événement inquiétant, votre père et vous rejoignez le domaine familial à la hâte. Mais c’est déjà trop tard. À peine le temps de rejoindre votre mère et Hugo pour les prévenir, que l’Inquisition envahit l’enceinte de la propriété des De Rune.
L’évidence est là : l’Inquisition veut s’emparer d’Hugo pour des raisons que l’on ignore encore. Mais cela a de toute évidence un lien avec l’étrange phénomène que vous avez observé en forêt un peu plus tôt. Votre père, qui résiste, finit égorgé sous vos yeux alors que votre mère vous enjoigne de fuir avec votre petit frère.
Sans même le temps de vous retrouver, vous prenez la fuite, la main d’Hugo dans la vôtre, et l’Inquisition aux trousses.
Votre but est clair : fuir et survivre. Mais avant tout : protéger votre petit frère. De la peste. De l’inquisition et… des rats.
Les Goonies vs. L’Inquisition
Les rats, en horde, grouillants, sont l’un des symptômes de cette mystérieuse épidémie. Et votre ennemi le plus redoutable. Au moindre recoin obscur ils jaillissent de terre en un nombre affolant. L’effet est visuellement saisissant. Votre seule chance d’échapper à leur faim dévorante : le feu.
C’est un fait que le jeu vous rebalance sans cesse au visage : vous n’êtes que des enfants. Amicia est une jeune adolescente qui se retrouve du jour au lendemain responsable d’un enfant de 5 ans qu’elle connaît à peine et qu’elle va devoir protéger. À la façon d’ICO, vous jouerez donc pour deux. Hugo pendu à votre main, inutile de penser vous servir d’une épée ou d’enchaîner les combos pour combattre les rats et l’Inquisition. Non. Il va falloir être malin. Prendre le temps d’avancer au rythme de votre petit frère. Et ne jamais le laisser seul trop longtemps au risque qu’il panique et n’attire les gardes…
À la façon d’un puzzle game scénarisé, l’histoire est découpée en chapitres qui sont autant de tableaux que vous allez devoir résoudre. Aller d’un point A à un point B tout en évitant les dangers. La confrontation est rarement la solution : il va vous falloir ruser pour tracer votre route. Pour cela, les moyens sont multiples ! Utiliser l’environnement au détriment de ceux qui vous traquent pour détourner leur attention. Mettre vos connaissances alchimiques à profit pour chasser les rats. Ou tout simplement prendre vos jambes à votre cou quand la situation l’exige.
Ce monde est cruel et sans pitié. Vous périrez, souvent. Vous expérimenterez, beaucoup. Mais frustrés ? Jamais. Ou si peu.
A Plague Tale propose en effet une difficulté bien dosée avec une courbe d’apprentissage progressive – jusqu’au bout du jeu de nouveaux éléments de gameplay s’ajoutent. De nouveaux personnages rejoignent votre aventure, proposant de nouvelles capacités ou recettes alchimiques. Certains ressentiront peut-être là l’effet d’un tutoriel de 15 heures, j’y vois plutôt une façon ingénieuse de renouveler le gameplay tout au long de l’expérience. Parce que c’est en ça que le titre est bluffant : en se basant toujours sur les mêmes règles de jeu et en les variant subtilement, il nous donne l’impression de ne jamais faire deux fois le même chapitre. À la façon d’une musique dont on jouerait toujours les mêmes notes mais en en changeant le rythme, les instruments et les accords… Très malin.
D’heures en heures, Amicia apprend de nouvelles recettes alchimiques qui lui permettront d’endormir les gardes ou de précipiter les rats sur une cible. Elle améliorera son attirail et ses techniques pour être plus silencieuse, plus efficace, ou tout simplement pour agrandir les poches de son inventaire (big up tout particulier aux descriptions « RP » données à chaque amélioration).
Au fil de l’aventure, de nouveaux adolescents se joindront également à votre groupe et vous partageront leurs connaissances et leurs compétences. Sans jamais tomber dans le grotesque ou le cliché désolant, A Plague Tale vous fait vivre une histoire semblable aux Goonies où l’on s’attache à cette bande de gamins qui a tout perdu, et où les grands méchants ne sont pas les frères Fratelli mais l’Inquisition. Pourquoi pourchassent-ils votre frère ? D’où vient cette curieuse épidémie ? Pourquoi les rats déferlent-ils sur les villes, comme possédés par un étrange pouvoir ? À vous de le découvrir pour mieux combattre le mal qui ravage tout autour de vous…
Le conte est juste !
Sous des apparences simples, A Plague Tale impressionne par ses subtilités.
Dans sa direction artistique, fouillée, sombre… Dans son écriture et plus particulièrement ses dialogues. Si l’histoire part d’une base assez cliché, elle prend un tournant intéressant les premières heures passées. Mais surtout, les personnages sont écrits de façon intelligente. Qui n’a jamais joué des enfants agaçants, plats par leur caractère creux et exagéré ? Ici, on nous prend aux tripes : confrontés à la cruauté nouvelle d’un monde qu’ils découvrent, Amicia, Hugo et les compagnons qu’ils croisent réagissent de façon humaine et tangible aux horreurs qu’ils affrontent. La réaction d’Amicia face à son premier meurtre. Celle d’Hugo face au sacrifice de certains de leurs compagnons. Pour une fois, les enfants sont crédibles. Ils ne sont pas juste des personnages agaçants de niaiserie. Un bel exploit d’écriture à souligner.
Enfin, que dire de cette bande-son d’Olivier Derivière. Un article ne suffirait pas à rendre hommage au travail de ce compositeur dont les créations prennent une place de plus en plus envahissante dans mon cœur ! Une fois de plus, Derivière capture l’âme du jeu et nous offre de la grande musique à base de viole de gambe dissonante qui respire le XIVè siècle automnal boueux et cruel…
La liste de superlatifs serait encore longue mais il seraiy vain d’épiloguer davantage. J’en ai déjà révélé bien assez pour vous le faire comprendre : A Plague Tale est probablement l’un de mes GOTY de cette année 2019.
Le jeu n’est pas exempt de défauts : on pourrait lui reprocher une légère répétitivité par instants, une progression un peu couloir, et des graphismes légèrement à la traîne comparé aux AAA auxquels il semble vouloir se frotter (plus particulièrement l’animation de la horde de rats qui avait tant fait parler d’elle et qui m’a laissée un peu grimaçante).
Mais ce serait du pinaillage comparé aux nombreuses qualités du jeu d’Asobo Studio dont il me tarde de découvrir la prochaine création originale.
Que ce soit pour soutenir la création vidéoludique française ou tout simplement pour découvrir une expérience différente et généreuse : foncez. Vous aurez rarement aussi bien investi vos 40€ cette année qu’en les dépensant ici.
On a aimé :
- La direction artistique à la hauteur d’un AAA
- La subtilité de l’écriture
- La musique d’Olivier Derivière, envoûtante
On a moins aimé :
- L’animation des hordes de rats, un peu artificielle à mon goût
- Le scénario qui met un peu de temps à révéler son originalité
- On frôle le gameplay couloir à plusieurs reprises
Craquez vos PO si :
- Vous cherchez une proposition vidéoludique différente
- Vous voulez qu’on vous montre que les productions françaises en ont dans le ventre
- Vous avez un penchant pour le XIVè siècle, son alchimie, sa peste, son Inquisition… le bon vieux temps quoi !
Quittez la partie si :
- Vous voulez de la grosse bagarre
- Vous n’aimez pas les enfants
- Vous êtes musophobe
Extra(t)ordinaire
A Plague Tale: Innocence est tout simplement mon GOTY 2019 so far. Alors certes, graphiquement il n'atteint pas les sommets d'une production Naughty Dog et son gameplay frôle parfois la répétitivité, mais Asobo Studio sort habilement son épingle du jeu. Le gameplay, bien qu'il soit toujours le même du début à la fin, est sans cesse renouvelé, recontextualisé. On a donc l'impression de ne jamais faire face deux foix à la même situation ! Exit l'ennui, pour une durée de vie juste ce qu'il faut. On ajoute un scénario surprenant, une direction artistique au top et une bande-originale aux petits oignons. Ça donne un double A qui nous donne envie de crier cocorico et qui montre une fois de plus que le jeu vidéo français en a dans le ventre...