Soyons francs, l’offre de jeux en réalité virtuelle sur Playstation n’est pas extrêmement étoffée ni pleine de surprises (même s’il faudrait un jour que je vous parle de Moss, mon petit coup de cœur de la plateforme). Alors quand, à l’E3 2018, From Software a annoncé son nouveau titre Déraciné pour PSVR, l’attente et l’envie étaient palpables. Habitué des productions léchées et des univers travaillés, le studio promettait une expérience mémorable dans un genre nouveau pour lui : l’aventure à la première personne. Conte féerique aux accents victoriens, Déraciné réussit-il son pari ?
Déraciné voit son joueur incarner une fée évoluant dans un espace hors du temps. Ici, on le dit de façon très littérale, pas pour décrire le pensionnat dans lequel l’action se passe. En effet, le but du joueur va être de se promener dans cette école et d’aider les enfants qui y vivent en résolvant diverses énigmes pendant que ceux-ci seront figés dans le temps, ne sortant de leur stase que pour de courts moments à la faveur d’une action spécifique. Comme souvent dans les jeux en réalité virtuelle, les mécaniques de jeu se basent sur des déplacements en micro-téléportation (vous visez un endroit, appuyez sur un bouton et pouf, vous y êtes téléporté) et de la manipulation d’objets, ici via les PS Move. Il est d’ailleurs à noter que ceux-ci sont indispensables pour jouer, Déraciné ne supportant aucunement la manette PS4.
Emotion, es-tu là ?
Lors des 5 heures du jeu (approximativement), le joueur déambulera donc dans l’école plus ou moins restreinte (selon les portes fermées et les chats qui bloquent le passage – oui, les chats sont les ennemis jurés des fées a priori… Mais pas tout le temps, parfois on peut les caresser) à la recherche des enfants, de divers objets pour faire avancer l’histoire et de sortes de versions fantomatiques des mêmes enfants représentant en fait leurs souvenirs et placés là pour aider à la résolution des puzzles. Ce sera surtout l’occasion de glaner des informations sur l’histoire car celle-ci est racontée en pointillés, à la manière du lore des autres jeux plus connus du studio : Bloodborne et la saga Dark Souls. La fée aura aussi à sa disposition deux bagues lui servant à maîtriser la vie et le temps. En pratique, la bague du temps servira surtout à signifier au joueur que toutes les énigmes du « chapitre » ont été bouclées et qu’il peut faire un saut dans le temps, justement, pour accéder au chapitre suivant.
Car oui, si les personnages sont tous (à l’exception de la fée contrôlée par le joueur) figés dans le temps, il faut bien qu’on bouge d’une journée à l’autre pour voir les conséquences de nos actes. Ce système, logique aux vues des choix narratifs effectués jusque là, n’aide pas le joueur à se sentir investi émotionnellement dans l’histoire de Déraciné puisqu’on rate en fait la très grande partie de la vie de ces enfants, tout étant raconté plutôt que montré. Pour continuer sur l’histoire, quelques mystères restent à la fin – ce qui laisse la place à d’éventuels autres jeux dans le même univers ou a minima à l’imagination des joueurs – de ce récit globalement cohérent et touchant. On notera tout de même une résolution finale assez maladroite et lacunaire qui laissera le joueur attentif perplexe avec une désagréable impression de perte de temps (pire que ça en fait, mais c’est impossible à expliquer sans spoil).
Un gameplay qui s’enlise
En dehors d’une histoire, Déraciné est avant tout un jeu. A ce niveau, on l’a dit, il s’agit principalement d’exploration et de résolution d’énigmes. Malheureusement, le titre ne brille pas de ce côté-là. Côté exploration, on reste toujours à peu près dans le même environnement (à quelques pièces près) dont on fait vite le tour. Reste ensuite à arpenter les couloirs en appuyant un nombre incalculable de fois sur les boutons permettant de faire des 1/8ème de tours afin de rejoindre inlassablement les mêmes spots pour récupérer ou déposer un objet. Pour les plus acharnés, il y a un petit défi d’exploration qui demande de retrouver 8 pièces d’or à travers le pensionnat. Pour le reste, malgré la direction artistique réussie, l’environnement donne une impression de vide lorsqu’on tente d’échapper au côté dirigiste de Déraciné.
Puisqu’on parle de dirigisme, celui-ci nuit également aux énigmes du jeu. Très simples (ce qui n’est pas forcément un mal si le but est avant tout la transmission de l’histoire et de l’ambiance), les puzzles souffrent surtout d’un manque évident d’intérêt et ce, pour deux raisons majeures : les indications trop évidentes et l’impossibilité de se tromper. En fait, on peut résumer la résolution d’énigme comme suit : un personnage dit de quel objet il a besoin et où le trouver, on y va, on revient, on le prend dans l’inventaire et on le place à l’endroit qui apparaît en surbrillance à l’écran. Même si on n’écoute pas les indications, impossible de se tromper puisqu’on ne peut pas prendre dans l’inventaire des objets qui nous seront inutiles dans le chapitre actuel (on peut simplement les manipuler) et que, lorsqu’on sort le bon objet, l’emplacement où on doit le déposer s’affiche directement.
Tousse, fairy !
Au final, le problème de Déraciné est sans aucun doute à chercher dans le décalage entre sa promesse et ce qu’il permet réellement. Le joueur est régulièrement invité à explorer mais, en pratique, il n’a d’autre choix que de suivre exactement les enchaînements prévus pour le moment précis du jeu où il se trouve. De même, Déraciné ne ménage pas ses efforts pour présenter les pouvoirs aux possibilités incroyables de la fée (la maîtrise du temps, le transfert de la vie d’un organisme à un autre, et caetera) mais cantonne tellement leur utilisation qu’on se retrouve parfois face à des pertes de sens narratif et plus souvent encore à des problèmes de rythme qui sortent le joueur du récit, réduisant ainsi son impact émotionnel.
Au début du jeu, on met ces problèmes sur le dos de la courbe d’apprentissage mais en fait ils ne disparaissent jamais, ce qui fait qu’à partir d’une heure de jeu, on s’ennuie. Bien sûr, on peut se rattacher à l’histoire mais celle-ci avançant par brides, il ne manque pas de moments où on n’apprend simplement rien, la révélation de l’instant tombant sous le sens. Heureusement, on a un regain d’intérêt sur la dernière heure de jeu (un peu plus), lorsque les auteurs décident enfin de sortir du pensionnat et donc de débloquer l’intrigue.
TL;DR
Parti de bonnes intentions et incluant de bonnes idées, Déraciné pêche par un manque d’approfondissement de celles-ci, rapprochant plus l’expérience de jeu du simulateur de marche que de ce qu’on pourrait assimiler à un point & click en réalité virtuelle. Mais puisqu’il ne va pas jusque là, s’arrêtant à mi-chemin en imposant une série d’énigmes faciles mais chronophages (on n’est parfois pas loin des redoutées quêtes FedEx des MMO), il abîme son rythme et amoindrit ainsi la puissance de son récit. On rentre dans Déraciné rempli d’espoir par les nombreuses promesses qu’il nous fait en introduction mais on en ressort un peu déçu, se rendant compte qu’on n’est pas passé loin d’un jeu intéressant mais qu’il sera au final probablement oublié dans quelques mois. Dommage.
On aime :
- la direction artistique réussie
- la narration subtile et découpée
- le scénario intrigant
On aime moins :
- le rythme cassé
- les idées sous-exploitées
- la linéarité
Craquez vos PO si :
- Vous ne pouvez pas résister à une histoire d’enfants
Quittez la partie si :
- Vous ne supportez pas les jeux qui ne vont pas au bout de leurs idées
Désengagé
Pensé comme un conte féerique interactif, Déraciné est alourdi par des contrôles un peu balourds et desservi par des énigmes trop simples qui empêchent le titre de véritablement sortir du bois. Pas mauvais en soi, il ne réussit malheureusement pas à engager le joueur pour lui raconter une histoire en pointillés qui soit mémorable. Au final, Déraciné s'avère moyen et malheureusement oubliable.