Une fois n’est pas coutume, nous publions aujourd’hui une nouvelle ! Écrite par Nora Bussigny (ancienne chroniqueuse du Point), elle y relate comment jouer à World of Warcraft peut vous aider dans votre vie professionnelle. Si, si, on vous le promet, c’est possible ! En tout cas, la nouvelle est plutôt convaincante à ce sujet… On s’est même un peu reconnus dans le (faux) témoignage qui y est relaté !
Parce que oui, on est les premiers à être certains que vous aussi vous avez, un jour, appris en savoir être et en savoir faire grâce au jeu vidéo. Apprentissage qui vous a servi dans votre vie de tous les jours, voire au travail. Que ce soit en améliorant vos compétences de communication, en travaillant sur votre patience, en vous apprenant à ne pas rester dans votre zone de confort… Le jeu vidéo est riche en enseignements, surtout lorsqu’il se pratique à plusieurs !
Place à cette nouvelle de Nora qui, on en est sûrs, vous fera hocher la tête d’un air convaincu !
WORD OF WARCRAFT
J’avais choisi cette option pour la simple et bonne raison que j’avais constaté une nette différence entre travailler véritablement et écouter des intervenants s’épancher allègrement sur leurs parcours respectifs. L’évaluation finale n’était guère difficile, elle demandait de synthétiser une demi-douzaine de pages de ce que nous avions appris lors du cours. Mais l’essentiel de cette matière, tout du moins comme elle était organisée dans notre master de management était de boire avec une adoration sans borne les paroles de l’invité du jour. Pas de questions dérangeantes, aucune interruption ; l’auditoire que nous formions devenait un véritable orchestre symphonique d’hochements de tête rythmés, d’yeux vitreux s’emplissant rapidement d’admiration quand notre regard croisait celui du prof et d’applaudissements déchaînés à la fin du discours, secrètement pour acclamer la libération de cette logorrhée pédante et hebdomadaire.
Cependant, alors que nous regardions avec deux de mes comparses le curriculum vitae de l’invité du jour (disponible avant chaque séance), je constatais une nette différence entre cet homme et nos habituels orateurs. Ce dernier avait réussi à atteindre le poste prisé de consultant par le parcours le moins scolaire qu’il nous ait été donné de rencontrer. Avec un simple BTS, certes majoré, ce type avait débuté comme chef de rayon et s’était mis à gravir efficacement les échelons, devenant finalement et grâce à une jolie VAE, directeur de zone. Visiblement rapidement lassé d’une telle place, le mec s’était vu octroyé un CIF de six mois pour passer professeur. Et comme ses dents devaient avoir à nouveau envie de rayer le parquet et qu’il restait malgré tout un sacré bosseur, monsieur Brillant avait enchaîné les cours du soir, décrochant finalement le prestigieux et ô combien enviable par ses pairs poste de consultant.
Et le voilà devant nous aujourd’hui.
Sauf que cette fois-ci, j’avais décidé qu’il était hors de question de jouer la carte de la diplocrisie. Je comptais fustiger cet homme de questions pinailleuses et désarçonnantes, redorant mon égo contraint d’être muselé à chaque cours et de cribler au passage le sien. Je savais que les autres me suivraient : quelle crédibilité pourrait avoir un type qui n’a pas obtenu un master comme nous nous acharnons à le faire en bûchant chaque soir sur des exigences scolaires ?
Petit, une calvitie gagnant doucement mais sûrement du terrain, Marcus G. contemplait d’un air hagard notre amphithéâtre bondé, sans vraisemblablement savoir où poser son regard. Après une brève présentation par notre prof exceptionnellement admiratif, nous eûmes droit à un discours récité avec mollesse par notre prestigieux invité. Rien de plus exclusif que ce que nous avions à disposition sur son CV, l’auditoire décrocha vite mais Marcus G. n’en n’avait cure. Le bref silence qui suivit l’énumération monotone des entreprises avec lesquelles il avait eu la chance de travailler m’offrit une brèche par laquelle je m’engouffrais sans hésiter. J’entrais en piste, me raclant élégamment la gorge, voyant tous les visages se tourner vers moi avec un intérêt cette fois-ci non feint :
« Monsieur G., je me permets de rebondir sur votre passionnant discours pour vous poser quelques questions qui me taraudent en découvrant votre parcours pro. Je me demande juste comment vous avez réussi avec un simple BTS à acquérir ce que nous apprenons en bac+5 seulement avec l’expérience. Loin de moi l’idée de dénigrer les VAE, cependant je ne peux m’empêcher de douter de toutes les vertus qu’offre l’empirisme.
-WOW. »
Me rétorqua avec une vivacité surprenante Marcus G.
Je fronçais les sourcils, mais n’eu pas le temps de l’interroger sur l’onomatopée qu’il reprit immédiatement la parole, cette fois-ci pleinement réveillé :
« C’est World of Warcraft qui m’a permis d’arriver jusque là. » Lâcha-t-il d’un ton affable.
Un petit rire parcouru l’assistance que fit taire aussitôt le prof, visiblement fâché par la tournure que prenait son cours. « Merci pour votre réponse, monsieur, néanmoins je n’arrive pas à voir comment un simple jeu peut apporter autant qu’un master et …. -Je n’ai pas dit ça. » Me coupa t-il. « Simplement c’est WoW qui m’a appris toutes les ficelles du management, me permettant juste de les appliquer avec autant de rigueur professionnellement que j’avais su le faire durant mes années à écumer Vanilla. »
Il s’adossa alors au bureau et lança à l’assistance un regard perçant, avant de l’arrêter sur moi. De nombreux chuchotis se firent entendre, tous y compris moi étions décontenancés par l’incongruité des propos de monsieur G.
« Je vais tâcher de vous faire comprendre les choses comme j’ai réussi à les comprendre moi-même à vos âges, quand je venais d’entrer dans l’entreprise qui m’avait offert mon stage de BTS. Comment évoluer dans une boîte qui pèse plus d’1 milliard de chiffre d’affaire alors que l’on est un jeune puceau titulaire d’un BTS lambda ? On se démarque. Et comment on se démarque ? En se servant de ce qu’enseigne World of Warcraft aux personnes qui ont la patience, la rigueur et l’humilité de progresser au sein d’une guilde PVE HL. Tu savoures le mentorat inversé en polissant ta pierre brute. Quand t’as décidé de ne plus être casu, c’est que tu as déjà de l’ambition. Alors tu n’as plus qu’à flooder le général pour être pris, majorer ta période d’essai et là t’apprends Et comment on évolue ? De la même manière que dans une boîte. Tu tombes rapidement dans le blurring en t’organisant IRL pour te faire au moins trois raids semaine, tu farmes tes potions et tes consommables sauf que l’idée n’est pas d’agir pour soi, mais de mettre en commun. Et ça mes amis, c’est l’une base du management : co-lla-borer. Quand t’es dans une petite guilde, t’es obligée de faire du downsizing. Et quand tu veux être opti pour un raid, tu dois consacrer ton temps et ton énergie au préalable en comptant sur le fait que les autres feront de même. Et surtout prévoir ton plan moyen terme c’est prévoir ton raid, donc tu te dois d’apprendre la strat par cœur et tu viens avec tes conso et suffisamment de PO pour les répa le jour J. »
Marcus G. nous laissait sans voix et, pour entretenir la sienne, fit une rapide pause en buvant une gorgée d’eau. Cette fois-ci pas besoin de maintenir le calme, nous étions tous silencieux, aussi bien perplexes que fascinés. Il poursuivit ensuite, exalté :
« Quand vous aviez 17 ans, à l’orée du bac, vous étiez en train de prévoir votre été en déposant votre CV maigrelet auprès de tous les macdo du coin ? Eh bien moi à 17 ans, je gérais les candidatures affluant sans cesse grâce à mon poste d’officier et sans recrutement prédictif. Les maîtres de classe, les officiers et le maître de la guilde, c’est des responsables, des cadres, cadres sup’ bref des copil’. Notre but, c’est d’optimiser la guilde, créer et intégrer un réseau en encourageant le bottom-up tout en privilégiant au fond le top-down. Evoluer avec des caractères, s’entourer de gens fiables, s’organiser, gérer les imprévus (comme le type qui se fait engueuler par sa nana et te plante juste avant un raid) te permet de jouir de ta constante évolution : Au début tu commences avec des donjons à cinq joueurs, souvent un tank voire un off tank, un healer et des DPS. Ensuite tu fais des raids qui commencent à 20 joueurs et finissent à 40 tu finis avec un raid composé de quatre tanks, une dizaine de healers et des DPS. Evoluer dans l’organisation, maîtriser chaque poste affine ta stratégie et fais de toi un très bon joueur car tu peux décemment enseigner aux autres grâce à cette vision périphérique que tu as acquise. Et là, quand tu connais la strat par cœur tu peux carrément lead un raid ! »
Marcus G. reprit son souffle, extatique et clama avec un talent de rhéteur qui différait cruellement de son discours d’entrée :
« Mes plus belles réussites, celles qui m’ont permise d’exceller IRL, m’ont procuré plus de satisfaction qu’aucun diplôme ne m’offrira ! Quand un jour on a réussi à tomber un boss le plus rapidement au niveau européen, on n’avait aucune stratégie. Et c’est là, à ce moment précis, que tu dois joindre tout le talent et l’ingéniosité de ton groupe pour mettre en place une stratégie rapide et novatrice, souvent bancale, mais qui doit impérativement être efficace. Trouver une solution immédiatement, affiner une adaptabilité rapide, s’armer un sens de l’observation aiguisé et apprendre de ses erreurs m’ont permis de majorer dans n’importe quel domaine. World of Warcraft t’offre une reconnaissance, ta guilde est prisée et les candidatures pleuvent. Mais j’ai fini par arrêter le PVE pour me mettre au PVP, ce qui m’a fait repenser entièrement le jeu, bousculer ma zone de confort car tout ce que je maîtrisais était devenu obsolète en passant d’un donjon à une arène. »
Je voyais que tous étaient pendus à ses lèvres, alors même qu’un mot sur dix nous était inconnu. Marcus me toisa alors et afficha un sourire éclatant :
« WoW a fait de moi un travailleur acharné, un manager zélé, un vrai slasher. Mon savoir, je l’ai eu sur le terrain, et mon terrain, c’était Azeroth. Et aujourd’hui c’est les plus grandes entreprises du CAC 40. Alors oui, j’affirme que mon parcours atypique professionnalisant vaut votre master. Et je suis prêt à offrir à chacun d’entre vous un an d’abonnement à WoW pour vous le prouver. J’ai dit. »
Et cette fois-ci, alors que Marcus ponctua sa phrase, le tonnerre d’applaudissement qui l’accueillit sonna comme la seule acclamation honnête qui eu jamais lieu dans ce cours.
LEXIQUE
- VAE : Validation des Acquis d’Expérience
- CIF : Congés Individuel de Formation
- Vanilla : Version du jeu avant les extensions
- PVE HL : Joueur contre l’environnement à haut niveau
- Casu : Casual, joueur occasionnel
- Flooder le général : Bombarder de messages le canal principal du jeu
- Blurring : Atténuation de la barrière entre la vie professionnelle et privée
- IRL : In Real Life (dans la vraie vie)
- Raid : Groupe de joueurs (souvent 20 ou 40) / Faire un raid : donjon avec énormément de boss
- Farmer : Répéter une même action pour récolter un ingrédient ou de l’argent
- Downsizing : Optimiser avec un effectif réduit ou un manque de moyens
- Opti : optimisé, optimal
- PO : Pièces d’or
- Bottom-up : suggestions des salariés écoutées par la direction
- Top-down : ordre du manager
- Tank et off-tank : joueur qui prend les dégâts / tank occasionnel
- Healer : Joueur qui soigne
- DPS : Dégât Par Seconde / Joueur qui inflige des dégâts
- Lead un raid : Gérer les quarante joueurs lors du raid
- PVP : Joueur contre Joueur
- Slasher : Quelqu’un qui cumule plusieurs professions
- Azeroth : Monde principal où se déroule WoW