Après avoir utilisé la narration cinématographique dans sa franchise Max Payne et les codes – notamment au niveau du découpage – des séries TV dans Alan Wake, le studio Remedy poursuit sur sa lancée en créant carrément une série TV pour son nouveau jeu Quantum Break. Au départ exclusivité Xbox One puis finalement exclusivité Microsoft (comprendre qu’il sort également sur PC), le nouveau né des finlandais allie donc un jeu d’action/tir à la troisième personne et une série live dont les épisodes sont impactés par les choix du joueur. Alors vraie bonne idée ou plantage en règle ?
Quantum Break commence par une expérience scientifique, celle de Paul Serene (Aidan Gillen) qui veut tester sa machine à voyager dans le temps avec l’aide de son ami Jack Joyce (Shawn Ashmore). Évidemment, rien ne se passe comme prévu – ou plutôt si mais on y reviendra plus tard – et l’inéluctable accident octroie à nos deux protagonistes des pouvoirs sur le déroulement du temps lui-même au prix de deux inconvénients non négligeables : Paul est atteint d’un syndrome étrange le rendant plus ou moins fou et le monde est menacé par la disparition de la dimension temporelle. Oui, carrément. A partir de là, Serene et Joyce vont s’affronter puisque tandis que Paul – à la tête de l’entreprise mystérieuse Monarch – fera tout pour sauver une minorité de personnes et créer un monde nouveau, Jack s’évertuera à empêcher la catastrophe en se basant sur les travaux de son frère William (Dominic Monaghan), le scientifique à l’origine des découvertes qui ont permis la construction de la fameuse machine à voyager dans le temps.
La théorie des quanta : Planck toi et tire
Le joueur incarne principalement Jack Joyce aux prises avec les mercenaires de Monarch pour récupérer une « contre-mesure » à la catastrophe annoncée alors qu’il passe pour un terroriste auprès de tous les médias. Les affrontements se font sur une base de cover-based TPS simplifié dans lequel la couverture ne doit pas être enclenchée par le joueur mais s’effectue de façon automatique quand Jack est proche d’un objet adéquat. Il bénéficie de trois slots d’arme (un pistolet, une arme d’assaut et une arme semi-automatique qui fracasse mais manque de précision type fusil à pompe ou mitraillette) ainsi que de pouvoirs débloqués au fil du jeu et améliorables en utilisant des points d’upgrade engrangés en ramassant un type d’objet bien précis : les chronons. Les affrontements rythment les 5 actes que compte le jeu (pour une durée totale d’environ 10 heures). A la fin de chacun des 4 premiers actes, un chapitre de « jonction » donne la possibilité au joueur d’incarner Paul Serene pour faire un choix qui déterminera la suite de l’histoire et impactera donc à la fois le reste du jeu et les épisodes de la série. 4 épisodes sont disponibles pour chaque run en fonction de ces choix et chacun est diffusé après les chapitres « jonction ». Évidemment, le 5e acte n’est pas suivi d’un chapitre « jonction » pour des raisons que vous pouvez probablement imaginer et il n’y a pas d’épisode de série. Cependant, je vous conseille de regarder la cinématique après le générique car elle apporte quelques explications… Ainsi qu’un gros souci. Mais ça, on y reviendra aussi.
Le Remedy miracle ?
Niveau gameplay, c’est simple mais ça fonctionne. La partie cover-based TPS simplifiée n’est pas révolutionnaire mais fonctionne plutôt bien pour peu qu’on arrive à gérer cette couverture automatique. On est introduit aux mécaniques de jeu via l’acte 1 qui manque beaucoup de punch et donne envie d’arrêter le jeu, soyons francs – mais encore une fois on y reviendra, oui je sais, ça fait beaucoup. Pourtant, au fur et à mesure qu’on gagne de nouvelles compétences (le Time Stop, le Time Rush et cætera), le gameplay gagne en intérêt et on se prend à avoir du plaisir pendant les phases de jeu. Attention toutefois, s’il y a certes plus de phases de jeu (et surtout de plus longues) que dans The Order : 1886, on est très loin d’un Gears of War ou même d’un Uncharted. Mais il faut reconnaître que c’est agréable : on s’amuse avec les ennemis, on se lance des petits défis comme « tuer au moins 5 ennemis à découvert avant de se planquer » et cætera. D’ailleurs, un petit conseil : ne restez pas trop à couvert sinon vous risquez de vous ennuyer. Éclatez vous. Sortez et tuez des ennemis au corps à corps. Essayez toutes les armes. Doublez vos ennemis pour les prendre à revers. Faites des combos avec vos pouvoirs. Soyez inventifs ! Quantum Break a le potentiel pour être un jeu dynamique et fun avec une dimension arcade très sympathique. Il ne tient qu’à vous de le libérer. Il est également possible de le dérouler comme un jeu tactique mais honnêtement il ne brillera pas dans ce genre et vous aurez probablement du mal à vous motiver pour le finir.
Le dernier né des studios Remedy laisse la possibilité d’augmenter les capacités de Jack, personnalisant ainsi en partie votre façon de jouer. Si vous aimez tuer rapidement sans dépenser une balle par exemple, vous pouvez améliorer votre Time Rush pour semer la mort à coups de poing en un temps record. Si vous avez tendance à être criblé de balles assez rapidement, le Time Shield peut aussi être amélioré. Peut-être que votre Michael Bay intérieur préférera privilégier les explosions temporelles pour envoyer valser vos ennemis. Encore une fois, le but est d’imaginer des enchaînements de pouvoirs et ces améliorations vous permettront d’en faire de nouveaux.
Même la partie souvent redondante des jeux – à savoir la collecte d’objets disséminés un peu partout – bénéficie ici d’un twist assez cool (même si ce n’est pas inédit). Il ne s’agit pas de têtes de singes conservées dans du formol ou de gouttes de pluie magique tombées du royaume des koalas carnivores du bois de Quat’Sous mais d’informations. Vous ne savez d’ailleurs pas à l’avance à quoi chaque collectible ressemble mais chacun de ces mails, chacune de ces illustrations vous en apprendra un peu plus sur ce qui se déroule dans l’univers du jeu. Il y a fort à parier que vous ne lisiez même pas ceux du premier acte mais on y prend vite goût et on se met à les chercher activement (chose que je ne fais quasiment jamais dans mes jeux parce que je ne cherche pas le 100%). Remedy a compris l’intérêt de la diégèse, y compris dans les jeux vidéo et ça fait vraiment plaisir.
On en vient donc à l’histoire en elle-même. J’ai du mal à croire que je m’apprête à écrire ces mots mais… C’est plutôt réussi. Bien sûr rien de révolutionnaire dans l’histoire de Quantum Break mais une bonne utilisation des tropes permet de construire une histoire sensée, intéressante, cohérente et assez claire pour être comprise de tous. Elle est servie par un jeu d’acteurs solide (en VO, la VF est simplement affreuse et j’ai du changer les paramètres de la console entre l’acte 1 et 2 pour éviter de jeter un pavé dans ma TV), sans trop de cabotinage, que ce soit dans les cinématiques ou dans les épisodes. La production desdits épisodes est d’ailleurs tout à fait honorable et mis à part quelques plans un peu cradingues et quelques costumes cheap, tout semble parfaitement maîtrisé. Et pourtant… Ça commençait mal. En effet, le premier acte est mauvais. Vraiment mauvais. Au point que j’ai failli arrêter le jeu. C’est assez drôle parce que rétrospectivement, on dirait qu’ils ont mis toutes les critiques préventives qu’ils pouvaient imaginer du genre « Non mais c’est débile de faire une série TV qui suit exactement les mêmes personnages que le jeu » pour tomber dedans puis en sortir dès le deuxième acte.
Quantum Broke
Quand je parle d’un mauvais premier acte, ce n’est pas qu’au niveau de l’histoire. Le gameplay également est décevant, la faute à une mollesse et à une lourdeur infinies causées en partie par le manque de diversité des pouvoirs de départ du héros, forçant ainsi le joueur à utiliser un style d’affrontement plus classique qui n’atteint pas le niveau des jeux auxquels il fait référence. Heureusement, donc, cette partie du gameplay s’améliore rapidement contrairement aux « puzzles » proposés ça et là. Ces passages à base d’objets à faire bouger dans le temps sont d’une simplicité extrême qui rend leur insertion dans le jeu dispensable, voire dommageable. Vu le résultat, il eût été préférable de s’abstenir. Pour aggraver encore les choses, Jack refuse de monter sur les objets qui ne sont pas sur le « bon chemin », celui prévu par les développeurs. Dit comme ça, ça ne paraît pas très grave. Mais en pratique, si vous essayez de monter sur une caisse alors que vous n’en avez pas besoin parce que pour continuer il faut monter sur celle d’à côté, eh bien Jack ne monte pas. Il bute comme un dummy de test de collision. Super niveau casse-tête et immersion… Ajoutez à cela que la maniabilité du personnage n’est pas toujours au top – en particulier les sauts – et vous comprendrez que même la fuite lors d’un effondrement de grue est assez décevante. Ensuite, sur le plan visuel, l’omniprésence des glitchs volontaires est un peu énervante à force, surtout lorsque ce flou artistique d’un nouveau genre empêche de voir clairement un élément de décor ou un visage et gêne donc l’expérience de jeu. Sans compter que ces glitchs sont parfois complètement injustifiés.
Côté histoire aussi, il y a malheureusement à redire. Mais sur un point seulement, ce qui est assez étrange. En effet, la logique temporelle de Quantum Break est respectée de bout en bout à l’exception de la scène post-générique. Le jeu prend le parti de la boucle temporelle (et donc de son postulat éminemment paradoxal) et c’est plutôt bien vu parce que c’est la meilleure façon de ne pas créer d’incohérences – le principe est que le passé ne peut pas être changé, rien ne peut être évité puisque ça s’est produit et que ça a contribué à produire l’état actuel. Et pourtant, il y en a une à la fin du jeu. Je ne comprends vraiment pas pourquoi ils ont fait cette erreur. Ou plutôt si, ils veulent faire une suite. Sauf qu’ils auraient pu le faire sans ce souci. Pour ne pas trop spoiler, je ne vais pas dire de quel personnage on parle mais celui-ci est mort dans une cinématique et si le passé ne peut être changé, alors il est et reste mort ! Et même si sa mort peut être empêchée – puisque la fin essaie de nous mettre le doute –, qui serait revenu en arrière pour le sauver ? On fait face à un énorme plot hole. Relativisons tout de même : le reste de l’histoire est un quasi sans faute et même la gestion des interactions entre le jeu et la série est réussie.
Puisqu’on parle de l’histoire, parlons de la série. Si je comprends la volonté de Remedy de faire du cross-media et que je salue le résultat, il y a quand même deux problèmes : d’abord ce n’est pas vraiment du cross-media mais plutôt un médium incrusté dans un autre et ensuite c’est bien gentil de prendre les mêmes personnages et donc acteurs mais il n’y a pas mieux pour aggraver l’uncanny valley ! Ce problème est surtout visible lors du premier épisode puisque tous les personnages viennent directement des différentes cinématiques déjà vues. Et si certains sont à peu près réussis (comme Jack, heureusement), d’autres ont un rendu vraiment étrange à l’image de Beth Wilder (Courtney Hope). Mention spéciale pour le personnage de Martin Hatch dont l’acteur Lance Reddick m’a toujours donné l’impression de sortir d’un éditeur de personnage de jeu vidéo. C’est confirmé ici, ça passe très bien. D’autre part, la volonté d’incruster les épisodes de la série dans le jeu engendre de la frustration. On aurait aimé pouvoir les regarder à un autre moment pour continuer l’histoire de Jack. Sauf que… Ben c’est aussi l’histoire principale, simplement du point de vue d’autres personnages. Alors on n’aurait pas pu les mettre à d’autres moments. Du coup, on aime et on déteste ces épisodes en même temps. Ils sont bien faits et apportent du lore MAIS on a envie d’utiliser nos pouvoirs pour dézinguer des soldats. Les deux parties fonctionnent mais on ne peut pas dire que l’association des deux soit sans défaut.
Enfin, sur le plan technique, le résultat n’est pas parfait et manque de finition. Globalement, le jeu se déroule bien, rien à redire là-dessus. Mais les temps de chargement sont assez importants et Quantum Break souffre de quelques baisses de framerate par moment. Évidemment, ça n’empêche pas d’avancer mais ça se voit et on ne peut pas nier que ce soit un peu gênant.
TL;DR
Quantum Break est un objet vidéoludique intéressant liant l’expérience de jeu avec celle d’une série TV. Après un début quelque peu décourageant, le jeu prend son envol et s’avère très sympathique à parcourir, rempli de bonnes petites idées correctement exploitées. En utilisant intelligemment les pouvoirs du héros, le joueur n’aura aucun mal à prendre du plaisir pendant les phases d’affrontement. Reste que les coupures que constituent les épisodes cassent un peu le rythme malgré la qualité de la production. Les aventures de Jack Joyce devraient vous satisfaire pendant les 10h de jeu mais il est peu probable que vous ayez envie d’y retourner, à moins que vous ne vouliez absolument voir les répercussions de chaque choix différent.
On aime :
- La réalisation soignée
- Les combos de pouvoirs
- Le dynamisme des combats
- La VO…
- La forme
- L’histoire sans (trop de) plot holes
On aime moins :
- Le rythme légèrement cassé par les épisodes
- Les phases de puzzle
- Le rendu étrange sur certaines textures et personnages
- … contrairement à la VF
- Le fond (un peu trop simple)
Craquez vos PO si :
- Un TPS sympathique vous tente
- Vous aimez enchaîner des pouvoirs
Quittez la partie si :
- Vous n’aimez pas les cinématiques ni les séries
Powers galore
Quantum Break est une expérience mêlant jeu vidéo et série. Sans être révolutionnaire, chaque partie est bien exécutée et le tout fonctionne assez bien malgré un rythme un peu haché par cette alternance de média.