Je ne vais pas vous le cacher, je fais partie de ces gens qui n’ont pas trop accroché à Pacific Rim. Du coup, quand j’ai appris que l’ami Guillermo Del Toro retournait vers un cinéma d’auteur de bon aloi, j’avais hâte de voir le résultat. Embarquons donc dans notre machine à voyager dans le temps pour nous retrouver au XIXe siècle et suivre les aventures d’Edith Cushing dans Crimson Peak.
Crimson Peak nous conte l’histoire d’Edith Cushing (Mia Wasikowska), une jeune femme aspirant à publier ses propres œuvres littéraires et qui heurte sa modernité intrinsèque au monde ultra normé de son époque. Edith veut vivre, elle veut écrire et surtout elle refuse d’être limitée par sa condition de femme. Évoluant parmi les personnalités fortunées de Buffalo, elle va pourtant tout quitter à la mort de son père Carter Cushing (Jim Beaver) pour suivre un baronnet anglais dont elle est tombée amoureuse, Thomas Sharpe (Tom Hiddleston) – au grand dam du Docteur Alan McMichael (Charlie Hunnam), amoureux transi de l’héroïne depuis l’enfance. C’est dans son gigantesque manoir où elle cohabite avec son nouveau mari et sa belle-sœur Lucille Sharpe (Jessica Chastain) qu’Edith va être confrontée à d’étranges apparitions fantomatiques et à de sombres révélations.
La fiancée de Frankenstein
Visitée par le fantôme de sa mère lorsqu’elle était enfant, Edith en garde une certaine fascination pour ces créatures qu’elle incorpore même à l’intrigue de son premier livre. Ce dernier est d’ailleurs refusé par un éditeur qui y voit une histoire d’horreur et qui ne pense pas que ce soit un domaine opportun pour une femme. Pourquoi parlé-je de cette scène de refus de manuscrit qui semble pourtant anecdotique ? Tout simplement parce qu’il semble qu’elle ait échappé à plus de la moitié de la presse française puisque Guillermo Del Toro y utilise son personnage principal pour dévoiler son intention : Crimson Peak – comme le fameux manuscrit – n’est pas une histoire de fantômes mais un drame dans lequel on trouve des fantômes. Si vous cherchiez à assouvir votre soif d’horrifique après l’annulation de Silent Hill, passez donc votre chemin car ce n’est pas du tout le but de ce film. De même, vous pouvez benner à peu près 70% des critiques presse en France qui jugent cette œuvre au travers du prisme horrifique et qui sont donc, par définition, complètement à côté de la plaque. Pour leur défense, la communication a été très mal gérée et laissait effectivement croire qu’on nous présentait un tel film. Cette mécompréhension écartée, nous pouvons à présent nous intéresser au sujet du jour.
Crimson Peak doit être vu comme un hommage multiple. S’il emprunte évidemment beaucoup à certains classiques du film d’horreur (notamment ceux de la Hammer, il n’y a qu’à voir le nom de famille de l’héroïne), son cœur est plutôt à chercher du côté des écrits de Jane Austen – d’ailleurs citée en compagnie de Mary Shelley (tiens donc) dans un échange passif agressif entre l’héroïne et la mère d’une prétendante au mariage avec Lord Sharpe au début du long métrage. Ça ne vous aura d’ailleurs pas échappé en lisant le synopsis proposé au début de cette critique puisque seule la dernière phrase parle de surnaturel tandis que le reste laisse la place aux triangles amoureux, à la noblesse anglaise en quête de conquête émotionnelle et aux histoires de famille. Ce style un peu désuet se voit offrir une seconde jeunesse grâce à la volonté de Del Toro de l’unir à la puissance évocatrice des classiques de l’épouvante et à son propre savoir faire. Il en résulte un récit gothique, Victorien, dont la mise en image lorgne également d’une splendide manière du côté du baroque, notamment au travers d’une lumière glaçante participant grandement à l’esthétique exquise de Crimson Peak et mettant ainsi entre autres en valeur l’aspect de poupée de collection que l’on trouve chez Mia Wasikowska. La réussite visuelle est telle que j’en ai oublié bien vite toute la colère que m’inspire l’actrice en me rappelant inlassablement le massacre d’Alice in Wonderland par ce désormais délétère Tim Burton. Sur le papier, on était pourtant bien parti pour un patchwork foireux mais la virtuosité du réalisateur lorsqu’il s’agit de marier des mondes étrangers les uns aux autres n’est plus à prouver depuis au moins son magnifique Labyrinthe de Pan.
Le conte est bon
Après une introduction typique de notre ami GDT – On assiste à ce qui sera la scène finale dans laquelle le personnage principal nous explique succinctement en voix-off les rouages qui y amèneront –, la première partie du film s’articule comme les livres qu’on vous a forcés à lire en cours d’anglais au collège. Il y a du Pride and Prejudice dans l’opposition entre la raison – accordant ses faveurs au jeune homme bien sous tous rapports et ayant une bonne situation, amoureux transi de surcroît, représenté par le Dr Alan McMichael – et la passion – prêtant, elle, toute sa force au baronnet fauché et meurtri Thomas Sharpe. Il y a également un peu de Dorian Gray dans chacun des deux Sharpe, clairement hantés par leur passé, prompts à dresser un voile flatteur devant une réalité toute autre et fermement résolus à se protéger avant tout. On pourrait croire que ce sempiternel triangle amoureux handicaperait Crimson Peak par sa lourdeur venue d’un autre temps mais un détail très important change la donne : en réalité Edith n’hésite pas, elle est bien trop moderne pour ça. C’est son père qui espère la pousser à prendre en épousailles son ami d’enfance. Cette distinction fait de la demoiselle un personnage beaucoup plus fort et résolu qu’à l’accoutumée, renforcé par ses déclarations tonitruantes sur son refus de se borner aux histoires d’amour ou de baser son propre bonheur sur celles-ci (qui entre d’ailleurs en résonance avec les évènements). On suit par conséquent pendant cette première moitié une femme forte, remplie de volonté et de rêves. C’est cela qui empêche l’ennui de s’installer. Evidemment, on sent également poindre l’histoire sinistre qui va venir se dérouler par la suite. Le jeu de Jessica Chastain en sœur possessive et en noble hautaine est d’ailleurs pour beaucoup dans la réussite du passage de l’une à l’autre.
C’est lorsque Carter Cushing, riche patron d’une société de construction immobilière, est assassiné (mais que « l’enquête » conclut à un accident alors que la tête du pauvre hère est complètement défoncée et présente des impacts multiples) que le film prend son virage tant attendu. En effet, si l’introduction nous faisait part de l’existence des fantômes et de la visite de celui d’une mère à sa fille (Edith, évidemment), toutes ces considérations n’avaient plus été traitées depuis – à l’exception d’une scène qui tombait comme un cheveu sur la soupe – et c’est le déménagement vers le manoir des Sharpe qui va nous y ramener dès la présentation de celui-ci, complètement délabré, tombant en ruines et installant ainsi une ambiance très particulière, à la fois familière puisqu’elle évoque nombre de films cultes mais également très onirique de par l’impossibilité que le spectateur a à croire une seule seconde que quiconque accepte d’y poser ses valises. C’est à partir de là que l’esthétique du film va se révéler entièrement. Bien entendu, le manoir en lui-même est déjà d’une beauté macabre enivrante mais ce sont également les fantômes et les filtres légèrement rouges accompagnés de certains aplats de couleurs bien sentis qui donnent une identité visuelle forte à l’œuvre. Quoique cette identité puisse être contestée mais on y reviendra plus tard.
Ambiance ghost-ique
Comme l’on peut s’y attendre, la partie se déroulant au manoir réserve son lot de pièces interdites, de bruits inquiétants, d’ombres dans le fond du tableau, d’apparitions et, oui, même de jump scares. Pourtant, c’est bien sur la relation entre les trois protagonistes – Edith, Thomas et Lucille – qu’il convient de se concentrer. Il s’agit d’une histoire « humaine » au sens où elle ne concerne finalement pas le surnaturel. Il est bien question d’opportunités, de secrets et de traîtrise dans Crimson Peak. Je ne peux pas vous en dire beaucoup plus sur le reste de l’histoire sans vous spoiler mais elle pourrait tout à fait se dérouler sans l’apparition d’aucun fantôme. A l’image de celui de sa mère dans l’introduction qui vient la mettre en garde contre Crimson Peak, les fantômes servent à expliquer l’histoire plus qu’ils ne la provoquent et c’est là qu’on arrive dans les soucis du film. Eh ben oui, j’allais bien y arriver à un moment donné.
Certes, chacun de ces ectoplasmes a une raison d’être dans l’histoire (sauf un qu’on croit comprendre à un moment et en fait non c’est pas ça mais il ne sera jamais expliqué) mais ils n’y apportent rien excepté un certain esthétisme et une dose de jump scares un peu trop réglés. Visuellement, on est dans un mélange entre du fantôme gothique classe et du gore dégueulasse de cadavre en décomposition. Rien de révolutionnaire, pas une vraie identité, juste un arrangement de modèles pour que ceux-ci collent à l’esthétique générale du film. Au niveau de leur efficacité, ça laisse aussi à désirer puisque chaque jump scare est tellement millimétré qu’on le voit arriver à des kilomètres et que la réaction d’Edith à leur encontre ne fait qu’égratigner la logique du personnage (je pense à une scène de baignoire en particulier, ceux qui l’ont vu devraient comprendre). C’est à l’image du reste du scénario d’ailleurs. Le problème lorsqu’on appuie si lourdement sur ses références et sur les hommages que l’on rend, c’est que les ficelles sont toutes connues du spectateur, ce qui fait qu’après la présentation de Lucille au bal (son frère et les autres personnages importants ont déjà été présentés à ce stade) on connaît la fin, le secret de famille honteux et – pire encore – chaque tentative de surprise (comme le fait de cacher l’identité du tueur du père) tombe à plat puisqu’on sait déjà qui est responsable avant même de voir la scène. Les codes de la romance et ceux du film de fantômes sont trop respectés pour le bien de Crimson Peak, ce qui l’empêche de développer une réelle personnalité, écrasé qu’il est sous le poids de toutes ses références. D’aucuns reprochent également que l’alchimie entre Edith et Thomas ne crève pas l’écran. Je pense que c’est volontaire pour trois raisons. D’abord, cela contribue à l’aspect glacé du récit, pensé comme une rencontre littéraire et donc un peu froide. Ensuite, cette distance artificielle donne à la romance un aspect plus irréel et par là-même plus parfait (mais je conçois que cette approche ne soit pas partagée par tout le monde). Enfin et surtout, toutes ces émotions partiellement contenues créent un contraste saisissant avec la scène de confrontation à l’intérieur du manoir vers la fin du film (donc pas la toute dernière pour ceux qui l’ont vu) dans laquelle Lucille déborde tellement de sentiments que tout cela en devient tragiquement (et de façon déstabilisante) romantique et donc mémorable. Incontestablement l’une des meilleures scènes du film malgré les réactions un peu étranges des deux autres personnages.
TL;DR
Avec Crimson Peak, Guillermo Del Toro livre un double hommage très réussi aux romances britanniques du XIXe siècle et aux grands films d’horreur classiques. Sa lettre d’amour bénéficie d’une esthétique très travaillée, d’un cisellement détaillé permettant la cohabitation de ces genres pourtant très différents. En somme, Crimson Peak est un exercice de style absolument parfait devant lequel on ne s’ennuie pas. Malheureusement, cela en fait également un objet cinématographique manquant un peu de personnalité, handicapé par les codes additionnés des deux genres qui rendent les révélations convenues et les effets de surprise un peu ternes.
Envoûtant
Exercice de style sans fausse note, Crimson Peak est un très bon Guillermo Del Toro qui manque cependant un peu de personnalité. Reste qu'on ne s'ennuie pas et que l'esthétique du film à elle seule justifie l'achat d'un billet de cinéma.
1 Comment
Kyra
29 Oct 2015 6:13J’aurais mis la même note que toi. J’ai beaucoup aimé mais je ne crierai pas au chef-d’oeuvre non plus. Mais vraiment bien.