Cinéma Tests & Critiques 4

[Critique] Lucy

Lucy_bandeau

Tout le monde en parle. On dit que c’est LE film qui permet à la France et à l’Europe de rivaliser avec Hollywood. On lit aussi que Lucy est le film de divertissement intelligent qu’on attendait depuis des années. C’est en tout cas l’ambition de Luc Besson qui, avec ce film, prétend livrer un film d’action à portée philosophique, capable de divertir mais surtout d’apporter la réflexion sur l’humanité à un nouveau niveau. Alors, Luc Besson a-t-il réussi son pari ? Non, j’ai même rarement vu un objet cinématographique se planter à ce point. Voyons pourquoi.

Je vais essayer de faire le moins de spoilers possibles mais certains sont inévitables. Le film suit Lucy (Scarlett Johansson), le personnage éponyme, une jeune américaine qui poursuit ses études à Taïwan, à qui il va arriver tout plein de mésaventures. A vrai dire, on ne saura pas grand chose à propos de la vie de Lucy puisque ce n’est pas le thème. On peut littéralement décrire le background du personnage comme suit : c’est une étudiante, donc, qui vit en colocation avec une autre étudiante (Analeigh Tipton, vue dans Warm Bodies par exemple), sort avec un expat’ un peu louche nommé Richard (Pilou Asbæk, vu dans Borgen ou encore The Killing) depuis une semaine après l’avoir rencontré en boite et a eu des parents aimants qui lui faisaient des câlins et des bisous lorsqu’elle était enfant. Voilà, vous savez tout. Bref, tout commence lorsque Richard demande à Lucy de porter une mallette à un mafieux coréen (il n’y a sans doute pas de mafia locale à Taipei) dans ce qui doit être la scène de « S’il te plait – Non je ne veux pas » la plus longue et la plus insipide de l’histoire du cinéma. Par un retournement de situation d’une folle originalité, Lucy se retrouve contrainte de le faire. La suite, comme vous le voyez dans la bande-annonce, est relativement simple : elle se fait piéger par les mafieux qui la transforment en mule pour une drogue expérimentale, puis l’un de ses geôliers la frappe dans l’abdomen, ce qui provoque une fuite de la drogue dans son organisme, ce qui « débride » ses capacités cérébrales, lui conférant ainsi des super-pouvoirs dignes du Dr Manhattan. Voilà pour l’histoire que vous connaissiez normalement déjà.

 

« Comment je vais pouvoir utiliser un max de pouvoirs en 1h30, moi ? »

 

Il n’y a pas que la drogue qui soit difficile à digérer

Sauf qu’on a déjà un premier souci majeur. Non, je ne parle pas de la scène d’ouverture longue et chiante mais d’un VRAI problème qui va se révéler symptomatique de l’une des deux majeures parties de ce qui constitue l’échec monumental du film : la réalisation de Luc Besson. Je vous arrête tout de suite, je vous vois venir : « Oui, tu craches sur Luc Besson parce que c’est Luc Besson et que ça fait bien, en France, de cracher sur des gens connus qui ont du succès. » Non. D’abord, je n’ai rien contre Luc Besson en tant que réalisateur (je ne parlerai pas de son rôle de producteur parce qu’il ne produit presque que des films nuls mais remplit à merveille son rôle, qui est de produire des films qui vont rapporter des montagnes d’argent). J’aime beaucoup la première partie de sa filmographie, jusqu’à Jeanne d’Arc en 1999, que j’inclus dans ses films que j’aime bien même s’il est bourré de problèmes. Seulement Lucy n’est pas du tout un second Nikita ou un digne successeur de Léon.

Dans la scène où Lucy entre dans l’hôtel pour remettre la mallette à M. Jang (Min-Sik Choi, véritable star coréenne et internationale grâce, notamment, à Chan-wook Park), le mafieux coréen en chef, et tombe dans son piège, Luc Besson décide d’utiliser le symbolisme. En soi, c’est très bien. Le symbolisme permet de faire comprendre des éléments au spectateur, de façon plus subtile, sans les montrer. Sauf que notre ami Luc l’utilise en support de la scène, en complément, et nous offre donc un double-service sur une scène qui n’a, en plus, rien d’extraordinaire ou même d’original. Alors que le piège se referme sur Lucy, le réalisateur se contente d’entrecouper la scène d’images de documentaires animaliers, comme si le spectateur ne pouvait comprendre que le protagoniste principal était sur le point de se faire dévorer. Comme si, aussi, Luc Besson n’avait pas compris l’utilisation du symbolisme et jouait avec des images comme un enfant de 4 ans. Et c’est là tout le souci de la réalisation : on sent bien que notre frenchie est un cinéphile, qu’il a énormément d’influences et qu’il veut faire un maximum (beaucoup trop d’ailleurs) de clins d’œil aux films qui l’ont marqué MAIS il n’a pas digéré ces références et se contente donc de nous vomir un amas d’appels du pied racoleurs et franchement ratés. On a ce problème tout au long du film, que ce soit dans l’introduction avec la copie mal comprise de Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio, dans la séquence de fin qui me ferait presque aimer l’objet qu’elle copie (The Tree of Life de Terrence Malick), dans les moments censés concurrencer 2001 : A Space Odyssey de Stanley Kubrick et tant d’autres. Aucune référence n’est réussie, c’est vraiment désolant.

 

« Scarlett, montre ton corps ! Ça fera passer la pilule. » – Luc Besson (ok, je n’ai pas de preuve qu’il l’ait vraiment dit)

 

Vous allez me dire « oui mais on s’en fout de la réalisation si le reste du film est bien. » Bon, je ne suis pas d’accord mais je peux comprendre. Toutefois, je vais immédiatement briser les espoirs qui pouvaient vous rester : RIEN n’est réussi dans ce film. Pas le scénario, ni les effets spéciaux (qui atteignent le paroxysme du ridicule sur l’australopithèque, les dinosaures et l’objet plein d’étoiles de la fin que je ne dévoilerais pas ici), ni le rythme, ni l’action, ni même l’acting. Je veux dire, merde, Scarlett Johansson semble faire un bond en arrière dans son jeu d’actrice qui se raffinait jusque là mais semble ici grossier et finalement peu crédible, sans doute la faute à un personnage mal écrit et à une direction d’acteurs douteuse.

 

Lucy in the sky with loads of bullshit

Le pire, et c’est la seconde pierre angulaire de l’échec complet de Lucy, c’est la constance dont le film fait preuve pour se tirer des balles dans le pied. Certes, le postulat selon lequel l’être humain n’utiliserait que 10 % de son cerveau est complètement faux. Mais pourquoi pas, à la limite, si l’idée est bien exploitée. Je veux bien faire semblant de croire à cette idée. Je veux même bien croire qu’une drogue permette de « débrider » le cerveau et de nous donner accès à des pouvoirs quasiment infinis. Après tout, j’adore les super-héros et ce n’est pas moins crédible. Mais déjà, les capacités cérébrales et le savoir sont deux choses différentes. Il n’y a aucune raison que Lucy comprenne d’un seul coup le chinois (oui parce qu’elle fait ses études à Taipei mais ne parle qu’anglais à la base, logique) ou qu’elle sache diagnostiquer des problèmes de santé et prescrire les bons remèdes. Mais vous savez quoi ? Je vais me faire l’avocat du diable et proposer une « raison logique » à ce nouveau savoir. On peut considérer que les cellules ont gardé la mémoire factuelle de tout ce que leurs ancêtres ont « vécu » (ça ok, la mémoire génétique est un concept assez répandu dans le monde de la science-fiction, de Dune à Stargate en passant par Assassin’s Creed) et qu’en la combinant à une logique infaillible, Lucy est capable de retracer toutes les avancées scientifiques et culturelles ayant eu lieu. On est au-delà de la mauvaise foi mais admettons. Par contre, il n’y a aucune explication possible pour que le Professeur Norman (Morgan Freeman) explique qu’il ne fait que théoriser, que rien n’est sûr et qu’on n’a aucun moyen de connaître les capacités qu’aurait un être humain ayant accès à plus de 10 % de son cerveau et que dix secondes plus tard, il affirme être sûr et certain qu’à 20 %, on aurait tel et tel pouvoir, à 40 %, tel et tel autre, et cætera.

 

« Je vais lui péter sa gueule à la cohérence, moi ! »

 

De la même façon, on peut très bien se foutre de l’incohérence scientifique de la base de son scénario mais à condition de ne pas passer son temps à la souligner, ni abreuver le public d’une logorrhée pseudo-neuro-biologico-n’importe-quoi sans queue ni tête en prétendant apporter une explication rationnelle. Dans un film de super-héros, on ne passe pas la moitié du film à expliquer la physique des pouvoirs du protagoniste, tout au plus évoque-t-on vaguement leurs origines. Pourquoi ? Parce que ça n’a pas d’intérêt, d’abord, et aussi parce que ce serait beaucoup trop compliqué, voire impossible, de trouver et de présenter aux spectateurs des explications qui se tiennent. Le personnage du Professeur Norman passe son temps à envoyer des explications fumeuses bourrées de véritables termes scientifiques pour faire plus crédible mais qui n’ont en réalité absolument aucun sens. Dans le même esprit, Lucy explique avoir le contrôle total sur son métabolisme et son corps en général mais elle se désintègre dans les toilettes d’un avion et sait qu’elle a moins de 24h à vivre. Et le manque de logique ne s’arrête pas là puisque même le personnage de Lucy est complètement incohérent ! On apprend assez vite qu’elle perd son humanité à mesure que son pouvoir croît, ce qui explique qu’elle n’ait pas de remords à provoquer la mort de citoyens et de policiers innocents dans les courses poursuites mais, par contre, elle ne tue jamais les gangsters coréens, préférant les faire voler dans un couloir ou leur planter des couteaux dans les mains et partir sans les abattre alors qu’ils représentent une vraie menace pour elle et sa quête. Quant à ses pouvoirs, elle ne les découvre jamais et les utilise de la manière la moins crédible qui soit. Aucune phase d’apprentissage ne lui est nécessaire et, alors qu’elle a découvert qu’elle avait un pouvoir capable de terrasser une salle entière en une demi-seconde, Lucy préfère oublier de l’utiliser par la suite et faire du n’importe quoi avec ses capacités pour augmenter les risques et diminuer encore un peu plus la cohérence du film. A chaque fois, elle utilise un nouveau pouvoir sorti d’on ne sait où, dont elle a pris connaissance on ne sait comment, et qu’elle maîtrise à la perfection. Et encore, je ne vous parle pas des pouvoirs qui ne fonctionnent pas du tout de façon logique comme l’accès à la mémoire d’un personnage qui lui prête le point de vue d’un autre personnage, qui n’a parfois rien à voir avec le premier. Le policier qui l’accompagne, joué par Amr Waked, n’est pas non plus un exemple de personnage réussi. Outre le fait qu’il obéisse au doigt et à l’œil à une inconnue qui n’arrête pas de violer des lois, il n’est, de base, qu’un simulacre ridicule de représentant de la loi qu’on croirait tout droit sorti des comédies franchouillardes des années 70.

Avec tout ça, on pourrait se dire que l’action est omniprésente, au moins, et qu’on peut donc passer un bon moment si on arrive à faire abstraction de tout ce dont je vous ai parlé avant. Eh bien non. L’action est molle, jamais à la hauteur d’un film d’action hollywoodien décérébré, mais ne profite pas de son rythme un peu bâtard pour imposer une marque de fabrique bessonienne ou un esthétisme quelconque. C’est du Hollywood mais en moins bien. Seule la course poursuite sur les quais de Paris relève le niveau, démontrant le savoir-faire du réalisateur en la matière. Et coté musique, je n’arrive même pas à me souvenir d’une seule piste, c’est dire si elle est marquante et originale… D’aucuns disent qu’on sent que Luc Besson s’est fait plaisir, ce n’est pas mon impression.

Pour terminer, j’aimerais revenir sur un commentaire que j’ai vu plusieurs fois et qui me fait halluciner : non, Lucy n’est pas un film féministe. Voilà un personnage omnipotent (par accident) qui ne peut toutefois pas s’en sortir sans l’aide de deux hommes : un policier, censé lui rappeler ce que veut dire être humain, et un scientifique, supposé lui dire quoi faire, la guider. En regardant le film, je n’ai pas pensé à l’aspect féministe ou non mais, en y repensant, c’est à peu près aussi éloigné d’un film féministe qu’on peut l’imaginer.

 

« Mais qu’est-ce que je suis venue faire dans cette galère ? » – Scarlett Johansson, après la première projection de Lucy.

 

TL;DR

Lucy est un film aux ambitions énoncées louables et même osées (j’oserais un « couillues ») mais qui n’aboutit absolument pas. Les effets spéciaux sont faibles, les idées de réalisation simplistes (quand elles ne sont pas tout bonnement ridicules), l’action molle et le tout malheureusement trop mauvais pour être facilement oubliable. Seule la présence de Scarlett Johansson, pourtant loin d’être au sommet de son art, et des références partagées avec Luc Besson m’empêchent de lui mettre la plus basse note possible.

Raté

Intelligent, intéressant, rythmé, bien réalisé... Lucy ne l'est pas. 89 minutes qui semblent interminables tant il est douloureux d'assister au naufrage d'intentions si louables sur le papier.

2.5
Note finale:
2.5

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4 Comments

  • Reply
    Eskarina
    25 Sep 2014 1:24

    Bon bhein c’est cool : moi qui voulais pas le voir, j’ai toujours pas envie 😀

  • Reply
    Kyra
    25 Sep 2014 1:36

    2,5 ? Et bim ! Dans sa face ! Une amie qui a vu le film te rejoindrait je pense, sur pas mal de points cités. Je vais lui envoyer le lien de ton test et voir ce qu’elle en pense. Et moi, ne l’ayant pas vu, eh bien je me tairai.

    Qui ne connait pas, ne juge pas.

  • Reply
    Gizmo
    25 Sep 2014 2:11

    Si je peux éviter à quelques-uns de gaspiller leur temps et leur argent pour aller voir ce film, je m’estimerai très très heureux 😉

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